Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/111

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L’inconnu la suivit, lui prit la main et la plaça sur son cœur.

— J’ai eu peur, dit-elle en souriant ; mais maintenant…

En ce moment sa femme de chambre effrayée lui cria : — Marie, prenez garde ! Mais Francine, qui voulait s’élancer hors de la voiture, s’y sentit arrêtée par une main vigoureuse. Le poids de cette main énorme lui arracha un cri violent, elle se retourna et garda le silence en reconnaissant la figure de Marche-à-terre.

— Je devrai donc à vos terreurs, disait l’étranger à mademoiselle de Verneuil, la révélation des plus doux secrets du cœur. Grâce à Francine, j’apprends que vous portez le nom gracieux de Marie. Marie, le nom que j’ai prononcé dans toutes mes angoisses ! Marie, le nom que je prononcerai désormais dans la joie, et que je ne dirai plus maintenant sans faire un sacrilège, en confondant la religion et l’amour. Mais serait-ce donc un crime que de prier et d’aimer tout ensemble ?

À ces mots, ils se serrèrent fortement la main, se regardèrent en silence, et l’excès de leurs sensations leur ôta la force et le pouvoir de les exprimer.

Ce n’est pas pour vous autres qu’il y a du danger ! dit brutalement Marche-à-terre à Francine en donnant aux sons rauques et gutturaux de sa voix une sinistre expression de reproche et appuyant sur chaque mot de manière à jeter l’innocente paysanne dans la stupeur.

Pour la première fois la pauvre fille apercevait de la férocité dans les regards de Marche-à-terre. La lueur de la lune semblait être la seule qui convînt à cette figure. Ce sauvage Breton tenant son bonnet d’une main, sa lourde carabine de l’autre, ramassé comme un gnome et enveloppé par cette blanche lumière dont les flots donnent aux formes de si bizarres aspects appartenaient ainsi plutôt à la féerie qu’à la vérité. Cette apparition et son reproche eurent quelque chose de la rapidité des fantômes. Il se tourna brusquement vers madame du Gua, avec laquelle il échangea de vives paroles, et Francine, qui avait un peu oublié le bas-breton, ne put y rien comprendre. La dame paraissait donner à Marche-à-terre des ordres multipliés. Cette courte conférence fut terminée par un geste impérieux de cette femme qui désignait au Chouan les deux amants. Avant d’obéir, Marche-à-terre jeta un dernier regard à Francine, qu’il semblait plaindre, il aurait voulu lui parler : mais la Bretonne sut que le silence de son amant était imposé. La peau rude