Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/114

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Corentin passa comme un éclair, et lui apporta l’image de sa véritable destinée qui lui apparut tout à coup. Pour la première fois depuis la matinée, elle réfléchit sérieusement à sa situation. Jusqu’en ce moment, elle s’était laissée aller au bonheur d’aimer, sans penser ni à elle, ni à l’avenir. Incapable de supporter plus longtemps ses angoisses, elle chercha, elle attendit, avec la douce patience de l’amour, un des regards du jeune homme, et le supplia si vivement, sa pâleur et son frisson eurent une éloquence si pénétrante qu’il chancela mais la chute n’en fut que plus complète.

— Souffririez-vous, mademoiselle ? demanda-t-il.

Cette voix dépouillée de douceur, la demande elle-même, le regard, le geste, tout servit à convaincre la pauvre fille que les événements de cette journée appartenaient à un mirage de l’âme qui se dissipait alors comme ces nuages à demi formés que le vent emporte.

— Si je souffre ?… reprit-elle en riant forcément, j’allais vous faire la même question.

— Je croyais que vous vous entendiez, dit madame du Gua avec une fausse bonhomie.

Ni le marquis ni mademoiselle de Verneuil ne répondirent. La jeune fille doublement outragée, se dépita de voir sa puissante beauté sans puissance. Elle savait pouvoir apprendre au moment où elle le voudrait la cause de cette situation ; mais, peu curieuse de la pénétrer, pour la première fois, peut-être, une femme recula devant un secret. La vie humaine est tristement fertile en situations où, par suite, soit d’une méditation trop forte, soit d’une catastrophe, nos idées ne tiennent plus à rien, sont sans substance, sans point de départ, où le présent ne trouve plus de liens pour se rattacher au passé, ni dans l’avenir. Tel fut l’état de mademoiselle de Verneuil. Penchée dans le fond de la voiture, elle y resta comme un arbuste déraciné. Muette et souffrante, elle ne regarda plus personne, s’enveloppa de sa douleur, et demeura avec tant de volonté dans le monde inconnu où se réfugient les malheureux, qu’elle ne vit plus rien. Des corbeaux passèrent en croassant au-dessus d’eux ; mais quoique, semblable à toutes les âmes fortes, elle eût un coin du cœur pour les superstitions, elle n’y fit aucune attention. Les voyageurs cheminèrent quelque temps en silence.

— Déjà séparés se disait mademoiselle de Verneuil. Cependant rien autour de moi n’a parlé. Serait-ce Corentin ? Ce n’est pas