Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/123

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— Mademoiselle, répondit le jeune homme d’un air soumis et ferme, le pouvoir que vous exercez sur les troupes républicaines, cette escorte…

— Ah ! vous m’y faites penser. Mon escorte et moi lui demanda-t-elle avec une légère ironie, vos protecteurs enfin, seront-ils en sûreté ici ?

— Oui, foi de gentilhomme ! Qui que vous soyez, vous et les vôtres, vous n’avez rien à craindre chez moi.

Ce serment fut prononcé par un mouvement si loyal et si généreux, que mademoiselle de Verneuil dut avoir une entière sécurité sur le sort des Républicains. Elle allait parler, quand l’arrivée de madame du Gua lui imposa silence. Cette dame avait pu entendre ou deviner une partie de la conversation des deux amants, et ne concevait pas de médiocres inquiétudes en les apercevant dans une position qui n’accusait plus la moindre inimitié. En voyant cette femme, le marquis offrit la main à mademoiselle de Verneuil, et s’avança vers la maison avec vivacité comme pour se défaire d’une importune compagnie.

— Je le gêne, se dit l’inconnue en restant immobile à sa place. Elle regarda les deux amants réconciliés s’en allant lentement vers le perron, où ils s’arrêtèrent pour causer aussitôt qu’ils eurent mis entre elle et eux un certain espace. — Oui, oui, je les gêne, reprit-elle en se parlant à elle-même, mais dans peu cette créature-là ne me gênera plus ; l’étang sera, par Dieu, son tombeau ! Ne tiendrai-je pas bien ta parole de gentilhomme ? une fois sous cette eau, qu’a-t-on à craindre ? n’y sera-t-elle pas en sûreté ?

Elle regardait d’un œil fixe le miroir calme du petit lac de droite, quand tout à coup elle entendit bruire les ronces de la berge et aperçut au clair de la lune la figure de Marche-à-terre qui se dressa par-dessus la noueuse écorce d’un vieux saule. Il fallait connaître le Chouan pour le distinguer au milieu de cette assemblée de truisses branchées parmi lesquelles la sienne se confondait si facilement. Madame du Gua jeta d’abord autour d’elle un regard de défiance ; elle vit le postillon conduisant ses chevaux à une écurie située dans celle des deux ailes du château qui faisait face à la rive où Marche-à-terre était caché ; Francine allait vers les deux amants qui, dans ce moment, oubliaient toute la terre ; alors, l’inconnue s’avança, mettant un doigt sur ses lèvres pour réclamer un profond silence ; puis, le Chouan comprit plutôt qu’il