Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/154

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mademoiselle de Verneuil, qu’elle se pencha tout abattue, et comme morte, au fond de la voiture, en donnant l’ordre d’aller à Fougères. Francine imita le silence de sa maîtresse. Le postillon, qui craignit quelque nouvelle aventure, se hâta de gagner la grande route, et arriva bientôt au sommet de La Pèlerine.

Marie de Verneuil traversa, dans le brouillard épais et blanchâtre du matin, la belle et large vallée du Couësnon, où cette histoire a commencé, et entrevit à peine, du haut de La Pèlerine, le rocher de schiste sur lequel est bâtie la ville de Fougères. Les trois voyageurs en étaient encore séparés d’environ deux lieues. En se sentant transie de froid, mademoiselle de Verneuil pensa au pauvre fantassin qui se trouvait derrière la voiture, et voulut absolument, malgré ses refus, qu’il montât près de Francine. La vue de Fougères la tira pour un moment de ses réflexions. D’ailleurs, le poste placé à la porte Saint-Léonard ayant refusé l’entrée de la ville à des inconnus, elle fut obligée d’exhiber sa lettre ministérielle ; elle se vit alors à l’abri de toute entreprise hostile en entrant dans cette place, dont, pour le moment, les habitants étaient les seuls défenseurs. Le postillon ne lui trouva pas d’autre asile que l’auberge de la Poste.

— Madame, dit le Bleu qu’elle avait sauvé, si vous avez jamais besoin d’administrer un coup de sabre à un particulier, ma vie est à vous. Je suis bon là. Je me nomme Jean Falcon, dit Beau-pied, sergent à la première compagnie des lapins de Hulot, soixante-douzième demi-brigade, surnommée la Mayençaise. Faites excuse de ma condescendance et de ma vanité ; mais je ne puis vous offrir que l’âme d’un sergent, je n’ai que ça, pour le quart d’heure, à votre service.

Il tourna sur ses talons et s’en alla en sifflant.

— Plus bas on descend dans la société, dit amèrement Marie, plus on y trouve de sentiments généreux sans ostentation. Un marquis me donne la mort pour la vie, et un sergent… Enfin, laissons cela.

Lorsque la belle Parisienne fut couchée dans un lit bien chaud, sa fidèle Francine attendit en vain le mot affectueux auquel elle était habituée ; mais en la voyant inquiète et debout, sa maîtresse fit un signe empreint de tristesse.

— On nomme cela une journée, Francine, dit-elle. Je suis de dix ans plus vieille.