Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/164

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pierres ; enfin toutes les idées qu’on demande à un paysage : de la grâce et de l’horreur, un poëme plein de renaissantes magies, de tableaux sublimes, de délicieuses rusticités ! La Bretagne est là dans sa fleur.

La tour dite du Papegaut, sur laquelle est bâtie la maison occupée par mademoiselle de Verneuil, a sa base au fond même du précipice, et s’élève jusqu’à l’esplanade pratiquée en corniche devant l’église de Saint-Léonard. De cette maison isolée sur trois côtés, on embrasse à la fois le grand fer à cheval qui commence à la tour même, la vallée tortueuse du Nançon, et la place Saint-Léonard. Elle fait partie d’une rangée de logis trois fois séculaires, et construits en bois, situés sur une ligne parallèle au flanc septentrional de l’église avec laquelle ils forment une impasse dont la sortie donne dans une rue en pente qui longe l’église et mène à la porte Saint-Léonard, vers laquelle descendait mademoiselle de Verneuil. Marie négligea naturellement d’entrer sur la place de l’église au-dessous de laquelle elle était, et se dirigea vers la Promenade.

Lorsqu’elle eut franchi la petite barrière de poteaux peints en vert qui se trouve devant le poste alors établi dans la tour de la porte Saint-Léonard, la magnificence du spectacle rendit un instant ses passions muettes. Elle admira la vaste portion de la grande vallée du Couësnon que ses yeux embrassaient depuis le sommet de La Pèlerine jusqu’au plateau par où passe le chemin de Vitré ; puis ses yeux se reposèrent sur le Nid-aux-crocs et sur les sinuosités du val de Gibarry, dont les crêtes étaient baignées par les lueurs vaporeuses du soleil couchant. Elle fut presque effrayée par la profondeur de la vallée du Nançon dont les plus hauts peupliers atteignaient à peine aux murs des jardins situés au-dessous de l’escalier de la Reine. Enfin, elle marcha de surprise en surprise jusqu’au point d’où elle put apercevoir et la grande vallée, à travers le val de Gibarry, et le délicieux paysage encadré par le fer à cheval de la ville, par les rochers de Saint-Sulpice et par les hauteurs de Rillé.

À cette heure du jour, la fumée des maisons du faubourg et des vallées formait dans les airs un nuage qui ne laissait poindre les objets qu’à travers un dais bleuâtre ; les teintes trop vives du jour commençaient à s’abolir ; le firmament prenait un ton gris de perle ; la lune jetait ses voiles de lumière sur ce bel abîme ; tout enfin tendait à plonger l’âme dans la rêverie et l’aider à évoquer les êtres chers.