Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/165

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Tout à coup, ni les toits en bardeau du faubourg Saint-Sulpice, ni son église, dont la flèche audacieuse se perd dans la profondeur de la vallée, ni les manteaux séculaires de lierre et de clématite dont s’enveloppent les murailles de la vieille forteresse à travers laquelle le Nançon bouillonne sous la roue des moulins, enfin rien dans ce paysage ne l’intéressa plus. En vain le soleil couchant jeta-t-il sa poussière d’or et ses nappes rouges sur les gracieuses habitations semées dans les rochers, au fond des eaux et sur les prés, elle resta immobile devant les roches de Saint-Sulpice. L’espérance insensée qui l’avait amenée sur la Promenade s’était miraculeusement réalisée. À travers les ajoncs et les genêts qui croissent sur les sommets opposés, elle crut reconnaître, malgré la peau de bique dont ils étaient vêtus, plusieurs convives de la Vivetière, parmi lesquels se distinguait le Gars, dont les moindres mouvements se dessinèrent dans la lumière adoucie du soleil couchant. À quelques pas en arrière du groupe principal, elle vit sa redoutable ennemie, madame du Gua. Pendant un moment mademoiselle de Verneuil put penser qu’elle rêvait ; mais la haine de sa rivale lui prouva bientôt que tout vivait dans ce rêve. L’attention profonde qu’excitait en elle le plus petit geste du marquis l’empêcha de remarquer le soin avec lequel madame du Gua la mirait avec un long fusil. Bientôt un coup de feu réveilla les échos des montagnes, et la balle qui siffla près de Marie lui révéla l’adresse de sa rivale.

— Elle m’envoie sa carte ! se dit-elle en souriant.

À l’instant de nombreux qui vive retentirent, de sentinelle en sentinelle, depuis le château jusqu’à la porte Saint-Léonard, et trahirent aux Chouans la prudence des Fougerais, puisque la partie la moins vulnérable de leurs remparts était si bien gardée.

— C’est elle et c’est lui, se dit Marie. Aller à la recherche du marquis, le suivre, le surprendre, fut une idée conçue avec la rapidité de l’éclair. — Je suis sans arme, s’écria-t-elle.

Elle songea qu’au moment de son départ à Paris, elle avait jeté, dans un de ses cartons, un élégant poignard, jadis porté par une sultane et dont elle voulut se munir en venant sur le théâtre de la guerre, comme ces plaisants qui s’approvisionnent d’albums pour les idées qu’ils auront en voyage ; mais elle fut alors moins séduite par la perspective d’avoir du sang à répandre, que par le plaisir de porter un joli cangiar orné de pierreries, et de jouer avec cette lame pure comme un regard. Trois jours auparavant elle avait bien vivement