Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/169

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des pièces habitées, et parvint auprès des murs sans rencontrer d’obstacles. Par la première fenêtre vers laquelle elle se dirigea, elle vit madame du Gua avec les chefs convoqués à la Vivetière. Étourdie et par cet aspect et par le sentiment de son danger, elle se rejeta violemment sur une petite ouverture défendue par de gros barreaux de fer, et distingua, dans une longue salle voûtée, le marquis seul et triste, à deux pas d’elle. Les reflets du feu, devant lequel il occupait une chaise grossière, illuminaient son visage de teintes rougeâtres et vacillantes qui imprimaient à cette scène le caractère d’une vision ; immobile et tremblante, la pauvre fille se colla aux barreaux, et, par le silence profond qui régnait, elle espéra l’entendre s’il parlait ; en le voyant abattu, découragé, pâle, elle se flatta d’être une des causes de sa tristesse ; puis sa colère se changea en commisération, sa commisération en tendresse, et elle sentit soudain qu’elle n’avait pas été amenée jusque-là par la vengeance seulement. Le marquis se leva, tourna la tête, et resta stupéfait en apercevant, comme dans un nuage, la figure de mademoiselle de Verneuil ; il laissa échapper un geste d’impatience et de dédain en s’écriant : — Je vois donc partout cette diablesse, même quand je veille !

Ce profond mépris, conçu pour elle, arracha à la pauvre fille un rire d’égarement qui fit tressaillir le jeune chef, et il s’élança vers la croisée. Mademoiselle de Verneuil se sauva. Elle entendit près d’elle les pas d’un homme qu’elle crut être Montauran ; et, pour le fuir, elle ne connut plus d’obstacles, elle eût traversé les murs et volé dans les airs, elle aurait trouvé le chemin de l’enfer pour éviter de relire en traits de flamme ces mots : Il te méprise ! écrits sur le front de cet homme, et qu’une voix intérieure lui criait alors avec l’éclat d’une trompette. Après avoir marché sans savoir par où elle passait, elle s’arrêta en se sentant pénétrée par un air humide. Effrayée par le bruit des pas de plusieurs personnes, et poussée par la peur, elle descendit un escalier qui la mena au fond d’une cave. Arrivée à la dernière marche, elle prêta l’oreille pour tâcher de reconnaître la direction que prenaient ceux qui la poursuivaient ; mais, malgré des rumeurs extérieures assez vives, elle entendit les lugubres gémissements d’une voix humaine qui ajoutèrent à son horreur. Un jet de lumière parti du haut de l’escalier lui fit craindre que sa retraite ne fût connue de ses persécuteurs ; et, pour leur échapper elle trouva de nouvelles forces. Il lui fut très-