Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/185

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré sa haine, mademoiselle de Verneuil épousa la cause des hommes que commandait son amant, et se tourna vivement vers l’autre issue pour voir si elle était libre ; mais elle aperçut les Bleus, sans doute vainqueurs de l’autre côté de Fougères, qui revenaient de la vallée du Couësnon par le Val-de-Gibarry pour s’emparer du Nid-aux-Crocs et de la partie des rochers Saint-Sulpice où se trouvaient les issues inférieures de la vallée du Nançon. Ainsi les Chouans, renfermés dans l’étroite prairie de cette gorge, semblaient devoir périr jusqu’au dernier, tant les prévisions du vieux commandant républicain avaient été justes et ses mesures habilement prises. Mais sur ces deux points, les canons qui avaient si bien servi Hulot furent impuissants, il s’y établit des luttes acharnées, et la ville de Fougères une fois préservée, l’affaire prit le caractère d’un engagement auquel les Chouans étaient habitués. Mademoiselle de Verneuil comprit alors la présence des masses d’hommes qu’elle avait aperçues dans la campagne, la réunion des chefs chez d’Orgemont et tous les événements de cette nuit, sans savoir comment elle avait pu échapper à tant de dangers. Cette entreprise, dictée par le désespoir, l’intéressa si vivement qu’elle resta immobile à contempler les tableaux animés qui s’offrirent à ses regards. Bientôt, le combat qui avait lieu au bas des montagnes de Saint-Sulpice eut, pour elle, un intérêt de plus. En voyant les Bleus presque maîtres des Chouans, le marquis et ses amis s’élancèrent dans la vallée du Nançon afin de leur porter du secours. Le pied des roches fut couvert d’une multitude de groupes furieux où se décidèrent des questions de vie et de mort sur un terrain et avec des armes plus favorables aux Peaux-de-bique. Insensiblement, cette arène mouvante s’étendit dans l’espace. Les Chouans, en s’égaillant, envahirent les rochers à l’aide des arbustes qui y croissent çà et là. Mademoiselle de Verneuil eut un moment d’effroi en voyant un peu tard ses ennemis remontés sur les sommets, où ils défendirent avec fureur les sentiers dangereux par lesquels on y arrivait. Toutes les issues de cette montagne étant occupées par les deux partis, elle eut peur de se trouver au milieu d’eux, elle quitta le gros arbre derrière lequel elle s’était tenue, et se mit à fuir en pensant à mettre à profit les recommandations du vieil avare. Après avoir couru pendant longtemps sur le versant des montagnes de Saint-Sulpice qui regarde la grande vallée du Couësnon, elle aperçut de loin une étable et