Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/203

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Les voyageurs avaient encore bien d’autres obstacles à vaincre dans ces routes tortueuses. Ainsi fortifié, chaque morceau de terre a son entrée qui, large de dix pieds environ, est fermée par ce qu’on nomme dans l’Ouest un échalier. L’échalier est un tronc ou une forte branche d’arbre dont un des bouts, percé de part en part, s’emmanche dans une autre pièce de bois informe qui lui sert de pivot. L’extrémité de l’échalier se prolonge un peu au-delà de ce pivot, de manière à recevoir une charge assez pesante pour former un contrepoids et permettre à un enfant de manœuvrer cette singulière fermeture champêtre dont l’autre extrémité repose dans un trou fait à la partie intérieure de la haie. Quelquefois les paysans économisent la pierre du contrepoids en laissant dépasser le gros bout du tronc de l’arbre ou de la branche.

Cette clôture varie suivant le génie de chaque propriétaire. Souvent l’échalier consiste en une seule branche d’arbre dont les deux bouts sont scellés par de la terre dans la haie. Souvent il a l’apparence d’une porte carrée, composée de plusieurs menues branches d’arbres, placées de distance en distance, comme les bâtons d’une échelle mise en travers. Cette porte tourne alors comme un échalier et roule à l’autre bout sur une petite roue pleine.

Ces haies et ces échaliers donnent au sol la physionomie d’un immense échiquier dont chaque champ forme une case parfaitement isolée des autres, close comme une forteresse, protégée comme elle par des remparts. La porte, facile à défendre, offre à des assaillants la plus périlleuse de toutes les conquêtes. En effet, le paysan breton croit engraisser la terre qui se repose, en y encourageant la venue de genêts immenses, arbuste si bien traité dans ces contrées qu’il y arrive en peu de temps à hauteur d’homme. Ce préjugé, digne de gens qui placent leurs fumiers dans la partie la plus élevée de leurs cours, entretient sur le sol et dans la proportion d’un champ sur quatre, des forêts de genêts, au milieu desquelles on peut dresser mille embûches. Enfin il n’existe peut-être pas de champ où il ne se trouve quelques vieux pommiers à cidre qui y abaissent leurs branches basses et par conséquent mortelles aux productions du sol qu’elles couvrent ; or, si vous venez à songer au peu d’étendue des champs dont toutes les haies supportent d’immenses arbres à racines gourmandes qui prennent le quart du terrain, vous aurez une idée de la culture et de la physionomie du pays que parcourait alors mademoiselle de Verneuil.