Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/206

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tements sacerdotaux, la faible voix du prêtre qui retentissait comme un murmure dans l’espace, ces hommes pleins de conviction, unis par un même sentiment et prosternés devant un autel sans pompe, la nudité de la croix, l’agreste énergie du temple, l’heure, le lieu, tout donnait à cette scène le caractère de naïveté qui distingua les premières époques du christianisme. Mademoiselle de Verneuil resta frappée d’admiration. Cette messe dite au fond des bois, ce culte renvoyé par la persécution vers sa source, la poésie des anciens temps hardiment jetée au milieu d’une nature capricieuse et bizarre, ces Chouans armés et désarmés, cruels et priant, à la fois hommes et enfants, tout cela ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait encore vu ou imaginé. Elle se souvenait bien d’avoir admiré dans son enfance les pompes de cette église romaine si flatteuses pour les sens ; mais elle ne connaissait pas encore Dieu tout seul, sa croix sur l’autel, son autel sur la terre ; au lieu des feuillages découpés qui dans les cathédrales couronnent les arceaux gothiques, les arbres de l’automne soutenant le dôme du ciel ; au lieu des mille couleurs projetées par les vitraux, le soleil glissant à peine ses rayons rougeâtres et ses reflets assombris sur l’autel, sur le prêtre et sur les assistants. Les hommes n’étaient plus là qu’un fait et non un système, c’était une prière et non une religion. Mais les passions humaines, dont la compression momentanée laissait à ce tableau toutes ses harmonies, apparurent bientôt dans cette scène mystérieuse et l’animèrent puissamment.

À l’arrivée de mademoiselle de Verneuil, l’évangile s’achevait. Elle reconnut en l’officiant, non sans quelque effroi, l’abbé Gudin, et se déroba précipitamment à ses regards en profitant d’un immense fragment de granit qui lui fit une cachette où elle attira vivement Francine ; mais elle essaya vainement d’arracher Galope-chopine de la place qu’il avait choisie pour participer aux bienfaits de cette cérémonie. Elle espéra pouvoir échapper au danger qui la menaçait en remarquant que la nature du terrain lui permettrait de se retirer avant tous les assistants. À la faveur d’une large fissure du rocher, elle vit l’abbé Gudin, montant sur un quartier de granit qui lui servit de chaire, et il y commença son prône en ces termes : In nomine Patris et Filii, et Spiritûs Sancti.

À ces mots, les assistants firent tous et pieusement le signe de la croix.

— Mes chers frères, reprit l’abbé d’une voix forte, nous prierons