Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/218

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dit-il tout bas, j’avoue qu’ils se contentent de peu de chose. Mais, reprit-il en haussant la voix, quand le soleil se lèvera dans le château de Versailles pour éclairer les jours heureux de la monarchie, alors les fidèles qui auront aidé le Roi à conquérir la France, en France, pourront-ils facilement obtenir des grâces pour leurs familles, des pensions pour les veuves, et la restitution des biens qu’on leur a si mal à propos confisqués. J’en doute. Aussi, monsieur le marquis, les preuves des services rendus ne seront-ils pas alors inutiles. Je ne me défierai jamais du Roi, mais bien de ces cormorans de ministres et de courtisans qui lui corneront aux oreilles des considérations sur le bien public, l’honneur de la France, les intérêts de la couronne, et mille autres billevesées. Puis l’on se moquera d’un loyal Vendéen ou d’un brave Chouan, parce qu’il sera vieux, et que la brette qu’il aura tirée pour la bonne cause lui battra dans des jambes amaigries par les souffrances… Trouvez-vous que nous ayons tort ?

— Vous parlez admirablement bien, monsieur du Vissard, mais un peu trop tôt, répondit le marquis.

— Écoutez donc, marquis, lui dit le comte de Bauvan à voix basse, Rifoël a, par ma foi, débité de fort bonnes choses. Vous êtes sûr, vous, de toujours avoir l’oreille du Roi ; mais nous autres, nous n’irons voir le maître que de loin en loin ; et je vous avoue que si vous ne me donniez pas votre parole de gentilhomme de me faire obtenir en temps et lieu la charge de Grand-maître des Eaux-et-forêts de France, du diable si je risquerais mon cou. Conquérir la Normandie au Roi, ce n’est pas une petite tâche, aussi espéré-je bien avoir l’Ordre. — Mais, ajouta-t-il en rougissant, nous avons le temps de penser à cela. Dieu me préserve d’imiter ces pauvres hères et de vous harceler. Vous parlerez de moi au Roi, et tout sera dit.

Chacun des chefs trouva le moyen de faire savoir au marquis, d’une manière plus ou moins ingénieuse, le prix exagéré qu’il attendait de ses services. L’un demandait modestement le gouvernement de Bretagne, l’autre une baronnie, celui-ci un grade, celui-là un commandement ; tous voulaient des pensions.

— Eh ! bien, baron, dit le marquis à monsieur du Guénic, vous ne voulez donc rien ?

— Ma foi, marquis, ces messieurs ne me laissent que la couronne de France, mais je pourrais bien m’en accommoder…