Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/222

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du Gua aperçut le marquis dont la figure conservait encore une expression de tristesse ; elle alla brusquement à lui.

— Ce n’est pas, j’ose l’espérer, la scène très-ordinaire que vous avez eue avec ces manants qui peut vous accabler, lui dit-elle.

Elle n’obtint pas de réponse, le marquis absorbé dans sa rêverie croyait entendre quelques-unes des raisons que, d’une voix prophétique, Marie lui avait données au milieu de ces mêmes chefs à la Vivetière, pour l’engager à abandonner la lutte des rois contre les peuples. Mais ce jeune homme avait trop d’élévation dans l’âme, trop d’orgueil, trop de conviction peut-être pour délaisser l’œuvre commencée, et il se décidait en ce moment à la poursuivre courageusement malgré les obstacles. Il releva la tête avec fierté, et alors il comprit ce que lui disait madame du Gua.

— Vous êtes sans doute à Fougères, disait-elle avec une amertume qui révélait l’inutilité des efforts qu’elle avait tentés pour distraire le marquis. Ah ! monsieur, je donnerais mon sang pour vous la mettre entre les mains et vous voir heureux avec elle.

— Pourquoi donc avoir tiré sur elle avec tant d’adresse ?

— Parce que je la voudrais morte où dans vos bras. Oui, monsieur, j’ai pu aimer le marquis de Montauran le jour où j’ai cru voir en lui un héros. Maintenant je n’ai plus pour lui qu’une douloureuse amitié, je le vois séparé de la gloire par le cœur nomade d’une fille d’Opéra.

— Pour de l’amour, reprit le marquis avec l’accent de l’ironie, vous me jugez bien mal ? Si j’aimais cette fille-là, madame, je la désirerais moins… et, sans vous, peut-être, n’y penserais-je déjà plus.

— La voici ! dit brusquement madame du Gua.

La précipitation que mit le marquis à tourner la tête fit un mal affreux à cette pauvre femme ; mais la vive lumière des bougies lui permettant de bien apercevoir les plus légers changements qui se firent dans les traits de cet homme si violemment aimé, elle crut y découvrir quelques espérances de retour, lorsqu’il ramena sa tête vers elle, en souriant de cette ruse de femme.

— De quoi riez-vous donc ? demanda le comte de Bauvan.

— D’une bulle de savon qui s’évapore ! répondit madame du Gua joyeuse. Le marquis, s’il faut l’en croire, s’étonne aujourd’hui d’avoir senti son cœur battre un instant pour cette fille qui se disait mademoiselle de Verneuil. Vous savez ?