Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/227

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— Il est à moi, se dit-elle en examinant dans la glace le marquis dont la figure doucement agitée rayonnait d’espérance.

Elle reçut le jeune chef en boudant et sans mot dire, mais elle le quitta en souriant ; elle le voyait si supérieur, qu’elle se sentit fière de pouvoir le tyranniser, et voulut lui faire acheter chèrement quelques douces paroles pour lui en apprendre tout le prix, suivant un instinct de femme auquel toutes obéissent plus ou moins. La contredanse finie, tous les gentilshommes de la Vivetière vinrent entourer Marie, et chacun d’eux sollicita le pardon de son erreur par des flatteries plus ou moins bien débitées ; mais celui qu’elle aurait voulu voir à ses pieds n’approcha pas du groupe où elle régnait.

— Il se croit encore aimé, se dit-elle, il ne veut pas être confondu avec les indifférents.

Elle refusa de danser. Puis, comme si cette fête eût été donnée pour elle, elle alla de quadrille en quadrille, appuyée sur le bras du comte de Bauvan, auquel elle se plut à témoigner quelque familiarité. L’aventure de la Vivetière était alors connue de toute l’assemblée dans ses moindres détails, grâce aux soins de madame du Gua qui espérait, en affichant ainsi mademoiselle de Verneuil et le marquis, mettre un obstacle de plus à leur réunion ; aussi les deux amants brouillés étaient-ils devenus l’objet de l’attention générale. Montauran n’osait aborder sa maîtresse, car le sentiment de ses torts et la violence de ses désirs rallumés la lui rendaient presque terrible ; et, de son côté, la jeune fille en épiait le figure faussement calme, tout en paraissant contempler le bal.

— Il fait horriblement chaud ici, dit-elle à son cavalier. Je vois le front de monsieur de Montauran tout humide. Menez-moi de l’autre côté, que je puisse respirer, j’étouffe.

Et, d’un geste de tête, elle désigna au comte le salon voisin où se trouvaient quelques joueurs. Le marquis y suivit sa maîtresse, dont les paroles avaient été devinées au seul mouvement des lèvres. Il osa espérer qu’elle ne s’éloignait de la foule que pour le revoir, et cette faveur supposée rendit à sa passion une violence inconnue ; car son amour avait grandi de toutes les résistances qu’il croyait devoir lui opposer depuis quelques jours. Mademoiselle de Verneuil se plut à tourmenter le jeune chef, son regard, si doux, si velouté pour le comte, devenait sec et sombre quand par hasard il rencontrait les yeux du marquis. Montauran parut faire un effort pénible,