Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/230

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apercevant un coin de la robe de madame du Gua, et elle se leva ; mais le désir de désespérer sa rivale la fit hésiter à s’en aller.

— Voulez-vous donc me plonger dans l’enfer ? reprit le marquis en lui prenant la main et la pressant avec force.

— Ne m’y avez-vous pas jetée depuis cinq jours ? En ce moment même, ne me laissez-vous pas dans la plus cruelle incertitude sur la sincérité de votre amour ?

— Mais sais-je si vous ne poussez pas votre vengeance jusqu’à vous emparer de toute ma vie, pour la ternir, au lieu de vouloir ma mort…

— Ah ! vous ne m’aimez pas, vous pensez à vous et non à moi, dit-elle avec rage en versant quelques larmes.

La coquette connaissait bien la puissance de ses yeux quand ils étaient noyés de pleurs.

— Eh ! bien, dit-il hors de lui, prends ma vie, mais sèche tes larmes !

— Oh ! mon amour, s’écria-t-elle d’une voix étouffée, voici les paroles, l’accent et le regard que j’attendais, pour préférer ton bonheur au mien ! Mais, monsieur, reprit-elle, je vous demande une dernière preuve de votre affection, que vous dites si grande. Je ne veux rester ici que le temps nécessaire pour y bien faire savoir que vous êtes à moi. Je ne prendrais même pas un verre d’eau dans la maison où demeure une femme qui deux fois a tenté de me tuer, qui complote peut-être encore quelque trahison contre nous, et qui dans ce moment nous écoute, ajouta-t-elle en montrant du doigt au marquis les plis flottants de la robe de madame du Gua. Puis, elle essuya ses larmes, se pencha jusqu’à l’oreille du jeune chef qui tressaillit en se sentant caresser par la douce moiteur de son haleine. — Préparez tout pour notre départ, dit-elle, vous me reconduirez à Fougères, et là seulement vous saurez bien si je vous aime ! Pour la seconde fois, je me fie à vous. Vous fierez-vous une seconde fois à moi ?

— Ah ! Marie, vous m’avez amené au point de ne plus savoir ce que je fais ! je suis enivré par vos paroles, par vos regards, par vous enfin, et suis prêt à vous satisfaire.

— Hé ! bien, rendez-moi, pendant un moment, bien heureuse ! Faites-moi jouir du seul triomphe que j’aie désiré. Je veux respirer en plein air, dans la vie que j’ai rêvée, et me repaître de mes illusions avant qu’elles ne se dissipent. Allons, venez, et dansez avec moi.