Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/232

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ner de s’asseoir, et resta debout dans une attitude de mélancolie. Les déchirantes émotions de son âme ne lui permettaient plus de déployer ces artifices qu’elle avait prodigués. En ce moment, elle se serait agenouillée sur des charbons ardents, sans les plus sentir que le marquis n’avait senti le tison dont il s’était saisi pour attester la violence de sa passion. Ce fut après avoir contemplé son amant par un regard empreint de la plus profonde douleur, qu’elle lui dit ces affreuses paroles : — Tout ce que vous avez soupçonné de moi est vrai ! Le marquis laissa échapper un geste. — Ah ! par grâce, dit-elle en joignant les mains, écoutez-moi sans m’interrompre. — Je suis réellement, reprit-elle d’une voix émue, la fille du duc de Verneuil, mais sa fille naturelle. Ma mère, une demoiselle de Casteran, qui s’est faite religieuse pour échapper aux tortures qu’on lui préparait dans sa famille, expia sa faute par quinze années de larmes et mourut à Séez. À son lit de mort seulement, cette chère abbesse implora pour moi l’homme qui l’avait abandonnée, car elle me savait sans amis, sans fortune, sans avenir… Cet homme, toujours présent sous le toit de la mère de Francine, aux soins de qui je fus remise, avait oublié son enfant. Néanmoins le duc m’accueillit avec plaisir, et me reconnut parce que j’étais belle, et que peut-être il se revoyait jeune en moi. C’était un de ces seigneurs qui, sous le règne précédent, mirent leur gloire à montrer comment on pouvait se faire pardonner un crime en le commettant avec grâce. Je n’ajouterai rien, il fut mon père ! Cependant laissez-moi vous expliquer comment mon séjour à Paris a dû me gâter l’âme. La société du duc de Verneuil et celle où il m’introduisit étaient engouées de cette philosophie moqueuse dont s’enthousiasmait la France, parce qu’on l’y professait partout avec esprit. Les brillantes conversations qui flattèrent mon oreille se recommandaient par la finesse des aperçus, ou par un mépris spirituellement formulé pour ce qui était religieux et vrai. Les hommes, en se moquant des sentiments, les peignaient d’autant mieux qu’ils ne les éprouvaient pas ; et ils séduisaient autant par leurs expressions épigrammatiques que par la bonhomie avec laquelle ils savaient mettre toute une aventure dans un mot ; mais souvent ils péchaient par trop d’esprit, et fatiguaient les femmes en faisant de l’amour un art plutôt qu’une affaire de cœur. J’ai faiblement résisté à ce torrent. Cependant mon âme, pardonnez-moi cet orgueil, était assez passionnée pour sentir que l’esprit avait desséché tous les cœurs ;