Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/233

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mais la vie que j’ai menée alors a eu pour résultat d’établir une lutte perpétuelle entre mes sentiments naturels et les habitudes vicieuses que j’y ai contractées. Quelques gens supérieurs s’étaient plu à développer en moi cette liberté de pensée, ce mépris de l’opinion publique qui ravissent à la femme une certaine modestie d’âme sans laquelle elle perd son charme. Hélas ! le malheur n’a pas eu le pouvoir de détruire les défauts que me donna l’opulence. — Mon père, poursuivit-elle après avoir laissé échapper un soupir, le duc de Verneuil, mourut après m’avoir reconnue et avantagée par un testament qui diminuait considérablement la fortune de mon frère, son fils légitime. Je me trouvai un matin sans asile ni protecteur. Mon frère attaquait le testament qui me faisait riche. Trois années passées auprès d’une famille opulente avaient développé ma vanité. En satisfaisant à toutes mes fantaisies, mon père m’avait créé des besoins de luxe, des habitudes desquelles mon âme encore jeune et naïve ne s’expliquait ni les dangers ni la tyrannie. Un ami de mon père, le maréchal duc de Lenoncourt, âgé de soixante-dix ans, s’offrit à me servir de tuteur. J’acceptai ; je me retrouvai, quelques jours après le commencement de cet odieux procès, dans une maison brillante où je jouissais de tous les avantages que la cruauté d’un frère me refusait sur le cercueil de notre père. Tous les soirs, le vieux maréchal venait passer auprès de moi quelques heures, pendant lesquelles ce vieillard ne me faisait entendre que des paroles douces et consolantes. Ses cheveux blancs, et toutes les preuves touchantes qu’il me donnait d’une tendresse paternelle, m’engageaient à reporter sur son cœur les sentiments du mien, et je me plus à me croire sa fille. J’acceptais les parures qu’il m’offrait, et je ne lui cachais aucun de mes caprices, en le voyant si heureux de les satisfaire. Un soir, j’appris que tout Paris me croyait la maîtresse de ce pauvre vieillard. On me prouva qu’il était hors de mon pouvoir de reconquérir une innocence de laquelle chacun me dépouillait gratuitement. L’homme qui avait abusé de mon inexpérience ne pouvait pas être un amant, et ne voulait pas être mon mari. Dans la semaine où je fis cette horrible découverte, la veille du jour fixé pour mon union avec celui de qui je sus exiger le nom, seule réparation qu’il me pût offrir, il partit pour Coblentz. Je fus honteusement chassée de la petite maison où le maréchal m’avait mise, et qui ne lui appartenait pas. Jusqu’à présent, je vous ai dit la vérité comme si j’étais devant Dieu ; mais maintenant, ne demandez pas à