Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/24

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en gravit les légères collines avec peine, puis il en parcourut lentement les sommets. Tout à coup, il sentit combien son expérience était utile au salut de sa troupe, et descendit. Son visage devint plus sombre ; car, dans ces temps-là, les chefs regrettaient toujours de ne pas garder pour eux seuls la tâche la plus périlleuse.

Les autres officiers et les soldats, ayant remarqué la préoccupation d’un chef dont le caractère leur plaisait et dont la valeur était connue, pensèrent alors que son extrême attention annonçait un danger ; mais incapables d’en soupçonner la gravité, s’ils restèrent immobiles et retinrent presque leur respiration, ce fut par instinct. Semblables à ces chiens qui cherchent à deviner les intentions de l’habile chasseur dont l’ordre est incompréhensible, mais qui lui obéissent ponctuellement, ces soldats regardèrent alternativement la vallée du Couësnon, les bois de la route et la figure sévère de leur commandant, en tâchant d’y lire leur sort. Ils se consultaient des yeux, et plus d’un sourire se répétait de bouche en bouche.

Quand Hulot fit la grimace, Beau-pied, jeune sergent qui passait pour le bel esprit de la compagnie, dit à voix basse : — Où diable nous sommes-nous donc fourrés pour que ce vieux troupier de Hulot nous fasse une mine si marécageuse, il a l’air d’un conseil de guerre ?

Hulot ayant jeté sur Beau-pied un regard sévère, le silence exigé sous les armes régna tout à coup. Au milieu de ce silence solennel, les pas tardifs des conscrits, sous les pieds desquels le sable criait sourdement, rendaient un son régulier qui ajoutait une vague émotion à cette anxiété générale. Ce sentiment indéfinissable sera compris seulement de ceux qui, en proie à une attente cruelle, ont senti dans le silence des nuits les larges battements de leur cœur, redoublés par quelque bruit dont le retour monotone semblait leur verser la terreur, goutte à goutte. En se replaçant au milieu de la route, le commandant commençait à se demander : — Me trompé-je ? Il regardait déjà avec une colère concentrée, qui lui sortait en éclairs par les yeux, le tranquille et stupide Marche-à-terre ; mais l’ironie sauvage qu’il sut démêler dans le regard terne du Chouan lui persuada de ne pas discontinuer de prendre ses mesures salutaires. En ce moment, après avoir accompli les ordres de Hulot, le capitaine Merle revint auprès de lui. Les muets acteurs de cette scène, semblable à mille autres qui rendirent