Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/242

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Après l’infâme entreprise dans laquelle vous m’avez engagée, dois-je encore vous remercier…

— En vous proposant une entreprise qui n’était pas exempte de blâme pour des esprits timorés, reprit-il audacieusement, je n’avais que votre fortune en vue. Pour moi, que je réussisse ou que j’échoue, je saurai faire servir maintenant toute espèce de résultat au succès de mes desseins. Si vous épousiez Montauran, je serais charmé de servir utilement la cause des Bourbons, à Paris, où je suis membre du club de Clichy. Or, une circonstance qui me mettrait en correspondance avec les princes, me déciderait à abandonner les intérêts d’une République qui marche à sa décadence. Le général Bonaparte est trop habile pour ne pas sentir qu’il lui est impossible d’être à la fois en Allemagne, en Italie, et ici où la Révolution succombe. Il n’a fait sans doute le Dix-Huit Brumaire que pour obtenir des Bourbons de plus forts avantages en traitant de la France avec eux, car c’est un garçon très-spirituel et qui ne manque pas de portée : mais les hommes politiques doivent le devancer dans la voie où il s’engage. Trahir la France est encore un de ces scrupules que, nous autres gens supérieurs, laissons aux sots. Je ne vous cache pas que j’ai les pouvoirs nécessaires pour entamer des négociations avec les chefs des Chouans, aussi bien que pour les faire périr ; car mon protecteur Fouché est un homme assez profond, il a toujours joué en double jeu, il était à la fois pour Robespierre et pour Danton.

— Que vous avez lâchement abandonné, dit-elle.

— Niaiserie, répondit Corentin ; il est mort, oubliez-le. Allons, parlez-moi à cœur ouvert, je vous en donne l’exemple. Ce chef de demi-brigade est plus rusé qu’il ne le paraît, et, si vous vouliez tromper sa surveillance, je ne vous serais pas inutile. Songez qu’il a infesté les vallées de Contre-Chouans et surprendrait bien promptement vos rendez-vous ! En restant ici, sous ses yeux, vous êtes à la merci de sa police. Voyez avec quelle rapidité il a su que ce Chouan était chez vous ! Sa sagacité militaire ne doit-elle pas lui faire comprendre que vos moindres mouvements lui indiqueront ceux du marquis, si vous en êtes aimée ?

Mademoiselle de Verneuil n’avait jamais entendu de voix si doucement affectueuse, Corentin était tout bonne foi, et paraissait plein de confiance. Le cœur de la pauvre fille recevait si facilement des impressions généreuses qu’elle allait livrer son secret au serpent qui l’enveloppait dans ses replis ; cependant, elle pensa que rien