Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/267

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d’une passion tour à tour heureuse ou méconnue, s’éveilla, lui fit voir tous les bénéfices d’une grande position. En quelque sorte née marquise, épouser Montauran, n’était-ce pas pour elle agir et vivre dans la sphère qui lui était propre ? Après avoir connu les hasards d’une vie tout aventureuse, elle pouvait mieux qu’une autre femme apprécier la grandeur des sentiments qui font la famille. Puis le mariage, la maternité et ses soins, étaient pour elle moins une tâche qu’un repos. Elle aimait cette vie vertueuse et calme entrevue à travers ce dernier orage, comme une femme lasse de la vertu peut jeter un regard de convoitise sur une passion illicite. La vertu était pour elle une nouvelle séduction.

— Peut-être, dit-elle en revenant de la croisée sans avoir vu de feu sur la roche de Saint-Sulpice, ai-je été bien coquette avec lui ? Mais aussi n’ai-je pas su combien je suis aimée ?… Francine, ce n’est plus un songe, je serai ce soir la marquise de Montauran. Qu’ai-je donc fait pour mériter un si complet bonheur ? Oh ! je l’aime, et l’amour seul peut payer l’amour. Néanmoins, Dieu veut sans doute me récompenser d’avoir conservé tant de cœur malgré tant de misères et me faire oublier mes souffrances ; car, tu le sais, mon enfant, j’ai bien souffert.

— Ce soir, marquise de Montauran, vous, Marie ! Ah ! tant que ce ne sera pas fait, moi je croirai rêver. Qui donc lui a dit tout ce que vous valez ?

— Mais, ma chère enfant, il n’a pas seulement de beaux yeux, il a aussi une âme. Si tu l’avais vu comme moi dans le danger ! Oh ! il doit bien savoir aimer, il est si courageux !

— Si vous l’aimez tant, pourquoi souffrez-vous donc qu’il vienne à Fougères ?

— Est-ce que nous avons eu le temps de nous dire un mot quand nous avons été surpris. D’ailleurs, n’est-ce pas une preuve d’amour ? Et en a-t-on jamais assez ! En attendant, coiffe-moi.

Mais elle dérangea cent fois, par des mouvements comme électriques, les heureuses combinaisons de sa coiffure, en mêlant des pensées encore orageuses à tous les soins de la coquetterie. En crêpant les cheveux d’une boucle, ou en rendant ses nattes plus brillantes, elle se demandait, par un reste de défiance, si le marquis ne la trompait pas, et alors elle pensait qu’une semblable rouerie devait être impénétrable, puisqu’il s’exposait audacieusement à une vengeance immédiate en venant la trouver à Fougères. En étu-