Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/268

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diant malicieusement à son miroir les effets d’un regard oblique, d’un sourire, d’un léger pli du front, d’une attitude de colère, d’amour ou de dédain, elle cherchait une ruse de femme pour sonder jusqu’au dernier moment le cœur du jeune chef.

— Tu as raison ! Francine, dit-elle, je voudrais comme toi que ce mariage fût fait. Ce jour est le dernier de mes jours nébuleux, il est gros de ma mort ou de notre bonheur. Le brouillard est odieux, ajouta-t-elle en regardant de nouveau vers les sommets de Saint-Sulpice toujours voilés.

Elle se mit à draper elle-même les rideaux de soie et de mousseline qui décoraient la fenêtre, en se plaisant à intercepter le jour de manière à produire dans la chambre un voluptueux clair-obscur.

— Francine, dit-elle, ôte ces babioles qui encombrent la cheminée, et n’y laisse que la pendule et les deux vases de Saxe dans lesquels j’arrangerai moi-même les fleurs d’hiver que Corentin m’a trouvées… Sors toutes les chaises, je ne veux voir ici que le canapé et un fauteuil. Quand tu auras fini, mon enfant, tu brosseras le tapis de manière à en ranimer les couleurs, puis tu garniras de bougies les bras de cheminée et les flambeaux…

Marie regarda longtemps et avec attention la vieille tapisserie tendue sur les murs de cette chambre. Guidée par un goût inné, elle sut trouver, parmi les brillantes nuances de la haute-lisse, les teintes qui pouvaient servir à lier cette antique décoration aux meubles et aux accessoires de ce boudoir par l’harmonie des couleurs ou par le charme des oppositions. La même pensée dirigea l’arrangement des fleurs dont elle chargea les vases contournés qui ornaient la chambre. Le canapé fut placé près du feu. De chaque côté du lit, qui occupait la paroi parallèle à celle où était la cheminée, elle mit, sur deux petites tables dorées, de grands vases de Saxe remplis de feuillages et de fleurs qui exhalèrent les plus doux parfums. Elle tressaillit plus d’une fois en disposant les plis onduleux du lampas vert au-dessus du lit, et en étudiant les sinuosités de la draperie à fleurs sous laquelle elle le cacha. De semblables préparatifs ont toujours un indéfinissable secret de bonheur, et amènent une irritation si délicieuse, que souvent, au milieu de ces voluptueux apprêts, une femme oublie tous ses doutes, comme mademoiselle de Verneuil oubliait alors les siens. N’existe-t-il pas un sentiment religieux dans cette multitude de soins pris pour un