Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/27

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qui signifie chouette ou hibou dans le patois de ce pays. Ce mot corrompu servit à nommer ceux qui dans la première guerre imitèrent les allures et les signaux de ces trois frères.

En entendant ce sifflement suspect, le commandant s’arrêta pour regarder fixement Marche-à-terre. Il feignit d’être la dupe de la niaise attitude du Chouan, afin de le garder près de lui comme un baromètre qui lui indiquât les mouvements de l’ennemi. Aussi arrêta-t-il la main de Gérard qui s’apprêtait à dépêcher le Chouan. Puis il plaça deux soldats à quelques pas de l’espion, et leur ordonna, à haute et intelligible voix, de se tenir prêts à le fusiller au moindre signe qui lui échapperait. Malgré son imminent danger, Marche-à-terre ne laissa paraître aucune émotion et le commandant, qui l’étudiait, s’apercevant de cette insensibilité, dit à Gérard : — Le serin n’en sait pas long. Ah ! Ah ! il n’est pas facile de lire sur la figure d’un Chouan ; mais celui-ci s’est trahi par le désir de montrer son intrépidité. Vois-tu, Gérard, s’il avait joué la terreur, j’allais le prendre pour un imbécile. Lui et moi nous aurions fait la paire. J’étais au bout de ma gamme. Oh ! nous allons être attaqués ! Mais qu’ils viennent, maintenant je suis prêt.

Après avoir prononcé ces paroles à voix basse et d’un air de triomphe, le vieux militaire se frotta les mains, regarda Marche-à-terre d’un air goguenard ; puis il se croisa les bras sur la poitrine, resta au milieu du chemin entre ses deux officiers favoris, et attendit le résultat de ses dispositions. Sûr du combat, il contempla ses soldats d’un air calme.

— Oh ! il va y avoir du foutreau, dit Beau-pied à voix basse, le commandant s’est frotté les mains.

La situation critique dans laquelle se trouvaient placés le commandant Hulot et son détachement est une de celles où la vie est si réellement mise au jeu que les hommes d’énergie tiennent à honneur de s’y montrer pleins de sang-froid et libres d’esprit. Là se jugent les hommes en dernier ressort. Aussi le commandant, plus instruit du danger que ses deux officiers, mit-il de l’amour-propre à paraître le plus tranquille. Les yeux tour à tour fixés sur Marche-à-terre, sur le chemin et sur les bois, il n’attendait pas sans angoisse le bruit de la décharge générale des Chouans qu’il croyait cachés, comme des lutins, autour de lui ; mais sa figure restait impassible. Au moment où tous les yeux des soldats étaient attachés sur les