Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/272

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pieds et poings liés, reprit Hulot en se parlant à lui-même, et je me trouverai embêté d’un conseil de guerre à présider. — Après tout, dit-il en haussant les épaules, le Gars est un ennemi de la République, il m’a tué mon pauvre Gérard, et ce sera toujours un noble de moins. Au diable !

Il tourna lestement sur les talons de ses bottes, et alla visiter tous les postes de la ville en sifflant la Marseillaise.

Mademoiselle de Verneuil était plongée dans une de ces méditations dont les mystères restent comme ensevelis dans les abîmes de l’âme, et dont les mille sentiments contradictoires ont souvent prouvé à ceux qui en ont été la proie qu’on peut avoir une vie orageuse et passionnée entre quatre murs, sans même quitter l’ottomane sur laquelle se consume alors l’existence. Arrivée au dénoûment du drame qu’elle était venue chercher, cette fille en faisait tour à tour passer devant elle les scènes d’amour et de colère qui avaient si puissamment animé sa vie pendant les dix jours écoulés depuis sa première rencontre avec le marquis. En ce moment le bruit d’un pas d’homme retentit dans le salon qui précédait sa chambre, elle tressaillit ; la porte s’ouvrit, elle tourna vivement la tête, et vit Corentin.

— Petite tricheuse ! dit en riant l’agent supérieur de la police, l’envie de me tromper vous prendra-t-elle encore ? Ah ! Marie ! Marie ! vous jouez un jeu bien dangereux en ne m’intéressant pas à votre partie, en en décidant les coups sans me consulter. Si le marquis a échappé à son sort…

— Cela n’a pas été votre faute, n’est-ce pas ? répondit mademoiselle de Verneuil avec une ironie profonde. Monsieur, reprit-elle d’une voix grave, de quel droit venez-vous encore chez moi ?

— Chez vous ? demanda-t-il d’un ton amer.

— Vous m’y faites songer, répliqua-t-elle avec noblesse, je ne suis pas chez moi. Vous avez peut-être sciemment choisi cette maison pour y commettre plus sûrement vos assassinats, je vais en sortir. J’irais dans un désert pour ne plus voir des…

— Des espions, dites, reprit Corentin. Mais cette maison n’est ni à vous ni à moi, elle est au gouvernement ; et, quant à en sortir, vous n’en feriez rien, ajouta-t-il en lui lançant un regard diabolique.

Mademoiselle de Verneuil se leva par un mouvement d’indignation, s’avança de quelques pas ; mais tout à coup elle s’arrêta en