Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/278

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’il me tue, bien ; mais mentir, lui que j’avais tant grandi ! À l’échafaud ! à l’échafaud ! Ah ! je voudrais le voir guillotiner. Suis-je donc si cruelle ? Il ira mourir couvert de caresses, de baisers qui lui auront valu vingt ans de vie…

— Marie, reprit Francine avec une douceur angélique, comme tant d’autres, soyez victime de votre amant, mais ne vous faites ni sa maîtresse ni son bourreau. Gardez son image au fond de votre cœur, sans vous la rendre à vous-même cruelle. S’il n’y avait aucune joie dans un amour sans espoir, que deviendrions-nous, pauvres femmes que nous sommes ! Ce Dieu, Marie, auquel vous ne pensez jamais, nous récompensera d’avoir obéi à notre vocation sur la terre : aimer et souffrir !

— Petite chatte, répondit mademoiselle de Verneuil en caressant la main de Francine, ta voix est bien douce et bien séduisante ! La raison a bien des attraits sous ta forme ! Je voudrais bien t’obéir…

— Vous lui pardonnez, vous ne le livrerez pas !

— Tais-toi, ne me parle plus de cet homme-là. Comparé à lui, Corentin est une noble créature. Me comprends-tu ?

Elle se leva en cachant, sous une figure horriblement calme, et l’égarement qui la saisit et une soif inextinguible de vengeance. Sa démarche lente et mesurée annonçait je ne sais quoi d’irrévocable dans ses résolutions. En proie à ses pensées, décorant son injure, et trop fière pour avouer le moindre de ses tourments, elle alla au poste de la porte Saint-Léonard pour y demander la demeure du commandant. À peine était-elle sortie de sa maison que Corentin y entra.

— Oh ! monsieur Corentin, s’écria Francine, si vous vous intéressez à ce jeune homme, sauvez-le, mademoiselle va le livrer. Ce misérable papier a tout détruit.

Corentin prit négligemment la lettre en demandant : — Et où est-elle allée ?

— Je ne sais.

— Je cours, dit-il, la sauver de son propre désespoir.

Il disparut en emportant la lettre, franchit la maison avec rapidité, et dit au petit gars qui jouait devant la porte : — Par où s’est dirigée la dame qui vient de sortir ?

Le fils de Galope-Chopine fit quelques pas avec Corentin pour lui montrer la rue en pente qui menait à la porte Saint-Léonard.