Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/281

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celui que je vais mettre chez elle, c’est le petit gars au pied sanglant ; ainsi…

Il n’acheva pas. Mademoiselle de Verneuil s’était par un mouvement soudain élancée vers sa maison, où il la suivit en sifflant comme un homme heureux ; quand il la rejoignit, elle avait déjà atteint le seuil de la porte où Corentin retrouva le fils de Galope-chopine.

— Mademoiselle, lui dit-il, prenez avec vous ce petit garçon, vous ne pouvez pas avoir d’émissaire plus innocent ni plus actif que lui. — Quand tu auras vu le Gars entré, quelque chose qu’on te dise, sauve-toi, viens me trouver au corps de garde, je te donnerai de quoi manger de la galette pendant toute ta vie.

À ces mots, soufflés pour ainsi dire dans l’oreille du petit gars, Corentin se sentit presser fortement la main par le jeune Breton, qui suivit mademoiselle de Verneuil.

— Maintenant, mes bons amis, expliquez-vous quand vous voudrez ! s’écria Corentin lorsque la porte se ferma, si tu fais l’amour, mon petit marquis, ce sera sur ton suaire.

Mais Corentin, qui ne put se résoudre à quitter de vue cette maison fatale, se rendit sur la Promenade, où il trouva le commandant occupé à donner quelques ordres. Bientôt la nuit vint. Deux heures s’écoulèrent sans que les différentes sentinelles placées de distance en distance, eussent rien aperçu qui pût faire soupçonner que le marquis avait franchi la triple enceinte d’hommes attentifs et cachés qui cernaient les trois côtés par lesquels la tour du Papegaut était accessible. Vingt fois Corentin était allé de la Promenade au corps de garde, vingt fois son attente avait été trompée, et son jeune émissaire n’était pas encore venu le trouver. Abîmé dans ses pensées, l’espion marchait lentement sur la Promenade en éprouvant le martyre que lui faisaient subir trois passions terribles dans leur choc : l’amour, l’avarice, l’ambition. Huit heures sonnèrent à toutes les horloges. La lune se levait fort tard. Le brouillard et la nuit enveloppaient donc dans d’effroyables ténèbres les lieux où le drame conçu par cet homme allait se dénouer. L’agent supérieur de la police sut imposer silence à ses passions, il se croisa fortement les bras sur la poitrine, et ne quitta pas des yeux la fenêtre qui s’élevait comme un fantôme lumineux au-dessus de cette tour. Quand sa marche le conduisait du côté des vallées au bord des précipices, il épiait machinalement le brouillard sillonné par les lueurs