Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/287

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la main. Devant elle, des milliers d’étincelles nageaient en l’air comme des langues de feu. Elle se mit à marcher pour secouer l’horrible torpeur dont elle était enveloppée, mais, semblable à une personne qui sommeille, aucun objet ne lui apparaissait avec sa forme ou sous ses couleurs vraies. Elle serrait la main du petit garçon avec une violence qui ne lui était pas ordinaire, et l’entraînait par une marche si précipitée, qu’elle semblait avoir l’activité d’une folle. Elle ne vit rien de tout ce qui était dans le salon quand elle le traversa, et cependant elle y fut saluée par trois hommes qui se séparèrent pour lui donner passage.

— La voici, dit l’un d’eux.

— Elle est bien belle, s’écria le prêtre.

— Oui, répondit le premier ; mais comme elle est pâle et agitée…

— Et distraite, ajouta le troisième, elle ne nous voit pas.

À la porte de sa chambre, mademoiselle de Verneuil aperçut la figure douce et joyeuse de Francine qui lui dit à l’oreille : — Il est là, Marie.

Mademoiselle de Verneuil se réveilla, put réfléchir, regarda l’enfant qu’elle tenait, le reconnut et répondit à Francine : — Enferme ce petit garçon, et, si tu veux que je vive, garde-toi bien de le laisser s’évader.

En prononçant ces paroles avec lenteur, elle avait fixé les yeux sur la porte de sa chambre, où ils restèrent attachés avec une si effrayante immobilité, qu’on eût dit qu’elle voyait sa victime à travers l’épaisseur des panneaux. Elle poussa doucement la porte, et la ferma sans se retourner, car elle aperçut le marquis debout devant la cheminée. Sans être trop recherchée, la toilette du gentilhomme avait un certain air de fête et de parure qui ajoutait encore à l’éclat que toutes les femmes trouvent à leurs amants. À cet aspect, mademoiselle de Verneuil retrouva toute sa présence d’esprit. Ses lèvres, fortement contractées quoique entrouvertes, laissèrent voir l’émail de ses dents blanches et dessinèrent un sourire arrêté dont l’expression était plus terrible que voluptueuse. Elle marcha d’un pas lent vers le jeune homme, et lui montrant du doigt la pendule :

— Un homme digne d’amour vaut bien la peine qu’on l’attende, dit-elle avec une fausse gaieté.

Mais, abattue par la violence de ses sentiments, elle tomba sur le sopha qui se trouvait auprès de la cheminée.