Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/294

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— Tout n’est donc pas perdu, s’écria Marie. — Alphonse, dit-elle après une pause, il y a de l’espoir.

En ce moment, ils entendirent distinctement le cri sourd de la chouette, et Francine sortit tout à coup du cabinet de toilette.

— Pierre est là, dit-elle avec une joie qui tenait du délire.

La marquise et Francine revêtirent Montauran d’un costume de Chouan, avec cette étonnante promptitude qui n’appartient qu’aux femmes. Lorsque la marquise vit son mari occupé à charger les armes que Francine apporta, elle s’esquiva lestement après avoir fait un signe d’intelligence à sa fidèle Bretonne. Francine conduisit alors le marquis dans le cabinet de toilette attenant à la chambre. Le jeune chef, en voyant une grande quantité de draps fortement attachés, put se convaincre de l’active sollicitude avec laquelle la Bretonne avait travaillé à tromper la vigilance des soldats.

— Jamais je ne pourrai passer par là, dit le marquis en examinant l’étroite baie de l’œil-de-bœuf.

En ce moment une grosse figure noire en remplit entièrement l’ovale, et une voix rauque, bien connue de Francine, cria doucement : — Dépêchez-vous, mon général, ces crapauds de Bleus se remuent.

— Oh ! encore un baiser, dit une voix tremblante et douce.

Le marquis, dont les pieds atteignaient l’échelle libératrice, mais qui avait encore une partie du corps engagée dans l’œil-de-bœuf, se sentit pressé par une étreinte de désespoir. Il jeta un cri en reconnaissant ainsi que sa femme avait pris ses habits ; il voulut la retenir, mais elle s’arracha brusquement de ses bras, et il se trouva forcé de descendre. Il gardait à la main un lambeau d’étoffe, et la lueur de la lune venant à l’éclairer soudain, il s’aperçut que ce lambeau devait appartenir au gilet qu’il avait porté la veille.

— Halte ! feu de peloton.

Ces mots, prononcés par Hulot au milieu d’un silence qui avait quelque chose d’horrible, rompirent le charme sous l’empire duquel semblaient être les hommes et les lieux. Une salve de balles arrivant du fond de la vallée jusqu’au pied de la tour succéda aux décharges que firent les Bleus placés sur la Promenade. Le feu des Républicains n’offrit aucune interruption et fut horrible, impitoyable. Les victimes ne jetèrent pas un cri. Entre chaque décharge le silence était effrayant.