Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/298

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v. livre, scènes de la vie militaire.

significative que se permettent les hommes supérieurs pour se faire distinguer des dupes. Aussi, quand je me récriai sur le courage de monsieur Martin, sourit-il, et me dit-il d’un air capable en hochant la tête : —Connu !…

— Comment, connu ? lui répondis-je. Si vous voulez m’expliquer ce mystère, je vous serai très-obligé.

Après quelques instants pendant lesquels nous fîmes connaissance, nous allâmes dîner chez le premier restaurateur dont la boutique s’offrit à nos regards. Au dessert, une bouteille de vin de Champagne rendit aux souvenirs de ce curieux soldat toute leur clarté. Il me raconta son histoire et je vis qu’il avait eu raison de s’écrier : — Connu !

Rentrée chez elle, elle me fit tant d’agaceries, tant de promesses, que je consentis à lui rédiger la confidence du soldat. Le lendemain elle reçut donc cet épisode d’une épopée qu’on pourrait intituler : Les Français en Égypte.




Lors de l’expédition entreprise dans la Haute-Égypte par le général Desaix, un soldat provençal, étant tombé au pouvoir des Maugrabins, fut emmené par ces Arabes dans les déserts situés au delà des cataractes du Nil. Afin de mettre entre eux et l’armée française un espace suffisant pour leur tranquillité, les Maugrabins firent une marche forcée, et ne s’arrêtèrent qu’à la nuit. Ils campèrent autour d’un puits masqué par des palmiers, auprès desquels ils avaient précédemment enterré quelques provisions. Ne supposant pas que l’idée de fuir pût venir à leur prisonnier, ils se contentèrent de lui attacher les mains, et s’endormirent tous après avoir mangé quelques dattes et donné de l’orge à leurs chevaux. Quand le hardi Provençal vit ses ennemis hors d’état de le surveiller, il se servit de ses dents pour s’emparer d’un cimeterre, puis, s’aidant de ses genoux pour en fixer la lame, il trancha les cordes qui lui ôtaient l’usage de ses mains et se trouva libre. Aussitôt il se saisit d’une carabine et d’un poignard, se précautionna d’une provision de dattes sèches, d’un petit sac d’orge, de poudre et de balles ; ceignit un cimeterre, monta sur un cheval, et piqua vivement dans la direction où il supposa que devait être l’armée française. Impatient de revoir un bivouac, il pressa tellement le coursier déjà fatigué, que le pauvre ani-