Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/299

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mal expira, les flancs déchirés, laissant le Français au milieu du désert.

Après avoir marché pendant quelque temps dans le sable avec tout le courage d’un forçat qui s’évade, le soldat fut forcé de s’arrêter, le jour finissait. Malgré la beauté du ciel pendant les nuits en Orient, il ne se sentit pas la force de continuer son chemin. Il avait heureusement pu gagner une éminence sur le haut de laquelle s’élançaient quelques palmiers, dont les feuillages aperçus depuis longtemps avaient réveillé dans son cœur les plus douces espérances. Sa lassitude était si grande qu’il se coucha sur une pierre de granit, capricieusement taillée en lit de camp, et s’y endormit sans prendre aucune précaution pour sa défense pendant son sommeil. Il avait fait le sacrifice de sa vie. Sa dernière pensée fut même un regret. Il se repentait déjà d’avoir quitté les Maugrabins dont la vie errante commençait à lui sourire, depuis qu’il était loin d’eux et sans secours. Il fut réveillé par le soleil, dont les impitoyables rayons, tombant d’aplomb sur le granit, y produisaient une chaleur intolérable. Or, le Provençal avait eu la maladresse de se placer en sens inverse de l’ombre projetée par les têtes verdoyantes et majestueuses des palmiers… Il regarda ces arbres solitaires, et tressaillit ! ils lui rappelèrent les fûts élégants et couronnés de longues feuilles qui distinguent les colonnes sarrasines de la cathédrale d’Arles. Mais quand, après avoir compté les palmiers, il jeta les yeux autour de lui, le plus affreux désespoir fondit sur son âme. Il voyait un océan sans bornes. Les sables noirâtres du désert s’étendaient à perte de vue dans toutes les directions, et ils étincelaient comme une lame d’acier frappée par une vive lumière. Il ne savait pas si c’était une mer de glaces ou des lacs unis comme un miroir. Emportée par lames, une vapeur de feu tourbillonnait au-dessus de cette terre mouvante. Le ciel avait un éclat oriental d’une pureté désespérante, car il ne laisse alors rien à désirer à l’imagination. Le ciel et la terre étaient en feu. Le silence effrayait par sa majesté sauvage et terrible. L’infini, l’immensité, pressaient l’âme de toutes parts : pas un nuage au ciel, pas un souffle dans l’air, pas un accident au sein du sable agité par petites vagues menues ; enfin l’horizon finissait, comme en mer, quand il fait beau, par une ligne de lumière aussi déliée que le tranchant d’un sabre. Le Provençal serra le tronc d’un des palmiers, comme si c’eût été le corps d’un ami ; puis, à l’abri de l’ombre grêle et droite que l’arbre dessinait sur