Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/315

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tait fait une patrie de l’armée, et de son régiment une famille. Aussi, rarement recherchait-on le motif de sa respectable économie, on se plaisait à l’attribuer au désir assez naturel d’augmenter la somme de son bien-être pendant ses vieux jours. À la veille de devenir lieutenant-colonel de cavalerie, il était présumable que son ambition consistait à se retirer dans quelque campagne avec la retraite et les épaulettes de colonel. Après la manœuvre, si les jeunes officiers causaient de Genestas, ils le rangeaient dans la classe des hommes qui ont obtenu au collège les prix d’excellence, et qui durant leur vie restent exacts, probes, sans passions, utiles et fades comme le pain blanc ; mais les gens sérieux le jugeaient bien différemment. Souvent quelque regard, souvent une expression pleine de sens comme l’est la parole du Sauvage, échappaient à cet homme et attestaient en lui les orages de l’âme. Bien étudié, son front calme accusait le pouvoir d’imposer silence aux passions et de les refouler au fond de son cœur, pouvoir chèrement conquis par l’habitude des dangers et des malheurs imprévus de la guerre. Le fils d’un pair de France, nouveau venu au régiment, ayant dit un jour, en parlant de Genestas, qu’il eût été le plus consciencieux des prêtres ou le plus honnête des épiciers — Ajoutez, le moins courtisan des marquis ! répondit-il en toisant le jeune fat qui ne se croyait pas entendu par son commandant. Les auditeurs éclatèrent de rire, le père du lieutenant était le flatteur de tous les pouvoirs, un homme élastique habitué à rebondir au-dessus des révolutions, et le fils tenait du père. Il s’est rencontré dans les armées françaises quelques-uns de ces caractères, tout bonnement grands dans l’occurrence, redevenant simples après l’action, insouciants de gloire, oublieux du danger ; il s’en est rencontré peut-être beaucoup plus que les défauts de notre nature ne permettraient de le supposer. Cependant l’on se tromperait étrangement en croyant que Genestas fût parfait. Défiant, enclin à de violents accès de colère, taquin dans les discussions et voulant surtout avoir raison quand il avait tort, il était plein de préjugés nationaux. Il avait conservé de sa vie soldatesque un penchant pour le bon vin. S’il sortait d’un repas dans tout le décorum de son grade, il paraissait sérieux, méditatif, et il ne voulait alors mettre personne dans le secret de ses pensées. Enfin, s’il connaissait assez bien les mœurs du monde et les lois de la politesse, espèce de consigne qu’il observait avec la roideur militaire ; s’il avait de l’esprit naturel et acquis, s’il possédait la tactique, la ma-