Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/332

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versales semblables à celles de la Suisse, de l’Auvergne et du Limousin. À leur grande surprise, les gens du bourg y virent poindre d’excellentes prairies, et obtinrent une plus grande quantité de lait, grâce à la meilleure qualité des pâturages. Les résultats de cette conquête furent immenses. Chacun imita mes irrigations. Les prairies, les bestiaux, toutes les productions se multiplièrent. Dès lors je pus sans crainte entreprendre d’améliorer ce coin de terre encore inculte et de civiliser ses habitants jusqu’alors dépourvus d’intelligence. Enfin, monsieur, nous autres solitaires nous sommes très-causeurs ; si l’on nous fait une question, l’on ne sait jamais où s’arrêtera la réponse ; lorsque j’arrivai dans cette vallée, la population était de sept cents âmes ; maintenant on en compte deux mille. L’affaire du dernier crétin m’a obtenu l’estime de tout le monde. Après avoir montré constamment à mes administrés de la mansuétude et de la fermeté tout à la fois, je devins l’oracle du canton. Je fis tout pour mériter la confiance sans la solliciter ni sans paraître la désirer ; seulement, je tâchai d’inspirer à tous le plus grand respect pour ma personne par la religion avec laquelle je sus remplir tous mes engagements, même les plus frivoles. Après avoir promis de prendre soin du pauvre être que vous venez de voir mourir, je veillai sur lui mieux que ses précédents protecteurs ne l’avaient fait. Il a été nourri, soigné comme l’enfant adoptif de la Commune. Plus tard, les habitants ont fini par comprendre le service que je leur avais rendu malgré eux. Néanmoins ils conservent encore un reste de leur ancienne superstition ; je suis loin de les en blâmer, leur culte envers le crétin ne m’a-t-il pas souvent servi de texte pour engager ceux qui avaient de l’intelligence à aider les malheureux. Mais nous sommes arrivés, reprit après une pause Benassis en apercevant le toit de sa maison.

Loin d’attendre de celui qui l’écoutait la moindre phrase d’éloge ou de remerciement, en racontant cet épisode de sa vie administrative, il semblait avoir cédé à ce naïf besoin d’expansion auquel obéissent les gens retirés du monde.

— Monsieur, lui dit le commandant, j’ai pris la liberté de mettre mon cheval dans votre écurie, et vous aurez la bonté de m’excuser quand je vous aurai appris le but de mon voyage.

— Ah ! quel est-il ? demanda Benassis en ayant l’air de quitter une préoccupation et de se souvenir que son compagnon était un étranger.