Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/340

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Je passai par ici en revenant de la Grande-Chartreuse. N’y trouvant pas d’auberge, je fus forcé de coucher chez le vicaire, qui habitait provisoirement cette maison, alors en vente. De questions en questions, j’obtins une connaissance superficielle de la déplorable situation de ce pays, dont la belle température, le sol excellent et les productions naturelles m’avaient émerveillé. Monsieur, je cherchais alors à me faire une vie autre que celle dont les peines m’avaient lassé. Il me vint au cœur une de ces pensées que Dieu nous envoie pour nous faire accepter nos malheurs. Je résolus d’élever ce pays comme un précepteur élève un enfant. Ne me sachez pas gré de ma bienfaisance, j’y étais trop intéressé par le besoin de distraction que j’éprouvais. Je tâchais alors d’user le reste de mes jours dans quelque entreprise ardue. Les changements à introduire dans ce canton, que la nature faisait si riche et que l’homme rendait si pauvre, devaient occuper toute une vie ; ils me tentèrent par la difficulté même de les opérer. Dès que je fus certain d’avoir la maison curiale et beaucoup de terres vaines et vagues à bon marché, je me vouai religieusement à l’état de chirurgien de campagne, le dernier de tous ceux qu’un homme pense à prendre dans son pays. Je voulus devenir l’ami des pauvres sans attendre d’eux la moindre récompense. Oh ! je ne me suis abandonné à aucune illusion, ni sur le caractère des gens de la campagne, ni sur les obstacles que l’on rencontre en essayant d’améliorer les hommes ou les choses. Je n’ai point fait des idylles sur mes gens, je les ai acceptés pour ce qu’ils sont, de pauvres paysans, ni entièrement bons ni entièrement méchants, auxquels un travail constant ne permet point de se livrer aux sentiments, mais qui parfois peuvent sentir vivement. Enfin, j’ai surtout compris que je n’agirais sur eux que par des calculs d’intérêt et de bien-être immédiats. Tous les paysans sont fils de saint Thomas, l’apôtre incrédule, ils veulent toujours des faits à l’appui des paroles.

— Vous allez peut-être rire de mon début, monsieur, reprit le médecin après une pause. J’ai commencé cette œuvre difficile par une fabrique de paniers. Ces pauvres gens achetaient à Grenoble leurs clayons à fromages et les vanneries indispensables à leur misérable commerce. Je donnai l’idée à un jeune homme intelligent de prendre à ferme, le long du torrent, une grande portion de terrain que les alluvions enrichissent annuellement, et où l’osier devait très bien venir. Après avoir supputé la quantité de vanneries consommées