Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vèrent dans la Commune. Une production en exigeait une autre. En peuplant le bourg, j’y créais des nécessités nouvelles, inconnues jusqu’alors à ces pauvres gens. Le besoin engendrait l’industrie, l’industrie le commerce, le commerce un gain, le gain un bien-être et le bien-être des idées utiles. Ces différents ouvriers voulurent du pain tout cuit, nous eûmes un boulanger. Mais le sarrasin ne pouvait plus être la nourriture de cette population tirée de sa dégradante inertie et devenue essentiellement active ; je l’avais trouvée mangeant du blé noir, je désirais la faire passer d’abord au régime du seigle ou du méteil, puis voir un jour aux plus pauvres gens un morceau de pain blanc. Pour moi les progrès intellectuels étaient tout entiers dans les progrès sanitaires. Un boucher annonce dans un pays autant d’intelligence que de richesses. Qui travaille mange, et qui mange pense. En prévoyant le jour où la production du froment serait nécessaire, j’avais soigneusement examiné la qualité des terres ; j’étais sûr de lancer le bourg dans une grande prospérité agricole, et de doubler sa population dès qu’elle se serait mise au travail. Le moment était venu. Monsieur Gravier de Grenoble possédait dans la Commune des terres dont il ne tirait aucun revenu, mais qui pouvaient être converties en terres à blé. Il est, comme vous le savez, Chef de division à la Préfecture. Autant par attachement pour son pays que vaincu par mes importunités, il s’était déjà prêté fort complaisamment à mes exigences ; je réussis à lui faire comprendre qu’il avait à son insu travaillé pour lui-même. Après plusieurs jours de sollicitations, de conférences, de devis débattus ; après avoir engagé ma fortune pour le garantir contre les risques d’une entreprise de laquelle sa femme, cervelle étroite, essayait de l’épouvanter, il consentit à bâtir ici quatre fermes de cent arpents chacune, et promit d’avancer les sommes nécessaires aux défrichements, à l’achat des semences, des instruments aratoires, des bestiaux, et à la confection des chemins d’exploitation. De mon côté, je construisis deux fermes, autant pour mettre en culture mes terres vaines et vagues que pour enseigner par l’exemple les utiles méthodes de l’agriculture moderne. En six semaines, le bourg s’accrut de trois cents habitants. Six fermes où devaient se loger plusieurs ménages, des défrichements énormes à opérer, des labours à faire, appelaient des ouvriers. Les charrons, les terrassiers, les compagnons, les manœuvriers affluaient. Le chemin de Grenoble était couvert de charrettes, d’al-