Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/347

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l’accroissement de la population. Mon entreprise put alors se développer dans toutes ses conséquences. Après avoir assaini les maisons et graduellement amené les habitants à se mieux nourrir, à se mieux vêtir, je voulus que les animaux se ressentissent de ce commencement de civilisation. Des soins accordés aux bestiaux dépend la beauté des races et des individus, partant celle des produits ; je prêchai donc l’assainissement des étables. Par la comparaison du profit que rend une bête bien logée, bien pansée, avec le maigre rapport d’un bétail mal soigné, je fis insensiblement changer le régime des bestiaux de la commune : pas une bête ne souffrit. Les vaches et les bœufs furent pansés comme ils le sont en Suisse et en Auvergne. Les bergeries, les écuries, les vacheries, les laiteries, les granges se rebâtirent sur le modèle de mes constructions et de celles de monsieur Gravier qui sont vastes, bien aérées, par conséquent salubres. Nos fermiers étaient mes apôtres, ils convertissaient promptement les incrédules en leur démontrant la bonté de mes préceptes par de prompts résultats. Quant aux gens qui manquaient d’argent, je leur en prêtais en favorisant surtout les pauvres industrieux ; ils servaient d’exemple. D’après mes conseils, les bêtes défectueuses, malingres ou médiocres furent promptement vendues et remplacées par de beaux sujets. Ainsi nos produits, en un temps donné, l’emportèrent dans les marchés sur ceux des autres Communes. Nous eûmes de magnifiques troupeaux, et partant de bons cuirs. Ce progrès était d’une haute importance. Voici comment. Rien n’est futile en économie rurale. Autrefois nos écorces se vendaient à vil prix et nos cuirs n’avaient pas une grande valeur ; mais nos écorces et nos cuirs une fois bonifiés, la rivière nous permit de construire des moulins à tan, il nous vint des tanneurs dont le commerce s’accrut rapidement. Le vin, jadis inconnu dans le bourg, où l’on ne buvait que des piquettes, y devint naturellement un besoin ; des cabarets se sont établis. Puis le plus ancien des cabarets s’est agrandi, s’est changé en auberge et fournit des mulets aux voyageurs qui commencent à prendre notre chemin pour aller à la Grande-Chartreuse. Depuis deux ans nous avons un mouvement commercial assez important pour faire vivre deux aubergistes. Au commencement du second âge de notre prospérité, le juge de paix mourut. Fort heureusement pour nous, son successeur fut un ancien notaire de Grenoble ruiné par une fausse spéculation, mais auquel il restait encore assez d’argent pour être