Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/371

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sont-ils généralement justes, économes et laborieux. Chaque père de famille a coutume de partager également ses biens entre ses enfants quand l’âge lui a interdit le travail ; ses enfants le nourrissent. Dans le dernier siècle, un vieillard de quatre-vingt-dix ans, après avoir fait ses partages entre ses quatre enfants, venait vivre trois mois de l’année chez chacun d’eux. Quand il quitta l’aîné pour aller chez le cadet, un de ses amis lui demanda : — Hé ! bien, es-tu content ? — Ma foi oui, lui dit le vieillard, ils m’ont traité comme leur enfant. Ce mot, monsieur, a paru si remarquable à un officier nommé Vauvenargues, célèbre moraliste, alors en garnison à Grenoble, qu’il en parla dans plusieurs salons de Paris où cette belle parole fut accueillie par un écrivain nommé Chamfort. Eh ! bien, il se dit souvent chez nous des mots encore plus saillants que ne l’est celui-ci, mais il leur manque des historiens dignes de les entendre…

— J’ai vu des frères Moraves, des Lollards en Bohême et en Hongrie, dit Genestas, c’est des chrétiens qui ressemblent assez à vos montagnards. Ces braves gens souffrent les maux de la guerre avec une patience d’anges.

— Monsieur, répondit le médecin, les mœurs simples doivent être à peu près semblables dans tous les pays. Le vrai n’a qu’une forme. À la vérité, la vie de la campagne tue beaucoup d’idées, mais elle affaiblit les vices et développe les vertus. En effet, moins il se trouve d’hommes agglomérés sur un point, moins il s’y rencontre de crimes, de délits, de mauvais sentiments. La pureté de l’air entre pour beaucoup dans l’innocence des mœurs.

Les deux cavaliers qui montaient au pas un chemin pierreux, arrivèrent alors en haut du plateau dont avait parlé Benassis. Ce territoire tourne autour d’un pic très élevé, mais complètement nu, qui le domine, et où il n’existe aucun principe de végétation ; la cime en est grise, fendue de toutes parts, abrupte, inabordable ; le fertile terroir, contenu par des rochers, s’étend au-dessous de ce pic, et le borde inégalement dans une largeur d’une centaine d’arpents environ. Au midi, l’œil embrasse, par une immense coupure, la Maurienne française, le Dauphiné, les rochers de la Savoie et les lointaines montagnes du Lyonnais. Au moment où Genestas contemplait ce point de vue, alors largement éclairé par le soleil du printemps, des cris lamentables se firent entendre.

— Venez, lui dit Benassis, le Chant est commencé. Le Chant est