Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/388

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J’avise une grange, j’y entre, j’y vois une vingtaine de généraux, des officiers supérieurs, tous hommes, sans les flatter, de grand mérite : Junot, Narbonne, l’aide de camp de l’Empereur, enfin les grosses têtes de l’armée. Il y avait aussi de simples soldats qui n’auraient pas donné leur lit de paille à un maréchal de France. Les uns dormaient debout, appuyés contre le mur faute de place, les autres étaient étendus à terre, et tous si bien pressés les uns contre les autres afin de se tenir chaud, que je cherche vaillamment un coin pour m’y mettre. Me voilà marchant sur ce plancher d’hommes : les uns grognaient, les autres ne disaient rien, mais personne ne se dérangeait. On ne se serait pas dérangé pour éviter un boulet de canon ; mais on n’était pas obligé là de suivre les maximes de la civilité puérile et honnête. Enfin j’aperçois au fond de la grange une espèce de toit intérieur sur lequel personne n’avait eu l’idée ou la force peut-être de grimper, j’y monte, je m’y arrange, et quand je suis étalé tout de mon long, je regarde ces hommes étendus comme des veaux. Ce triste spectacle me fit presque rire. Les uns rongeaient des carottes glacées en exprimant une sorte de plaisir animal, et des généraux enveloppés de mauvais châles ronflaient comme des tonnerres. Une branche de sapin allumée éclairait la grange, elle y aurait mis le feu, personne ne se serait levé pour l’éteindre. Je me couche sur le dos, et avant de m’endormir je lève naturellement les yeux en l’air, je vois alors la maîtresse poutre sur laquelle reposait le toit et qui supportait les solives, faire un léger mouvement d’orient en occident. Cette sacrée poutre dansait très joliment. « Messieurs, leur dis-je, il se trouve dehors un camarade qui veut se chauffer à nos dépens. » La poutre allait bientôt tomber. « Messieurs, messieurs, nous allons périr, voyez la poutre ! » criai-je encore assez fort pour réveiller mes camarades de lit. Monsieur, ils ont bien regardé la poutre ; mais ceux qui dormaient se sont remis à dormir, et ceux qui mangeaient ne m’ont même pas répondu. Voyant cela, il me fallut quitter ma place, au risque de la voir prendre, car il s’agissait de sauver ce tas de gloires. Je sors donc, je tourne la grange, et j’avise un grand diable de Wurtembourgeois qui tirait la poutre avec un certain enthousiasme. « — Aho ! aho ! lui dis-je en lui faisant comprendre qu’il fallait cesser son travail. Geht mir aus dem gesicht, oder ich schlag dich todt ! cria-t-il — Ah bien oui ? Qué mire aous dem guesit, lui répondis-je, il ne s’agit pas de cela ! » Je prends son