Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/394

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son chemin creux et noir. Il se trouvait, parallèlement à ces constructions, un bâtiment d’aspect assez misérable qui servait d’habitation à la famille et où les remises, les écuries, les étables, la grange, avaient été pratiquées. Des volailles et des cochons vaguaient dans le grand terrain. La propreté qui régnait dans ces différents établissements et leur bon état de réparation attestaient la vigilance du maître.

— Le prédécesseur de Vigneau, dit Benassis, était un malheureux, un fainéant qui n’aimait qu’à boire. Jadis ouvrier, il savait chauffer son four et payer ses façons, voilà tout ; il n’avait d’ailleurs ni activité ni esprit commercial. Si l’on ne venait pas chercher ses marchandises, elles restaient là, se détérioraient et se perdaient. Aussi mourait-il de faim. Sa femme, qu’il avait rendue presque imbécile par ses mauvais traitements, croupissait dans la misère. Cette paresse, cette incurable stupidité me faisaient tellement souffrir, et l’aspect de cette fabrique m’était si désagréable, que j’évitais de passer par ici. Heureusement cet homme et sa femme étaient vieux l’un et l’autre. Un beau jour le tuilier eut une attaque de paralysie, et je le fis aussitôt placer à l’hospice de Grenoble. Le propriétaire de la tuilerie consentit à la reprendre sans discussion dans l’état où elle se trouvait, et je cherchai de nouveaux locataires qui pussent participer aux améliorations que je voulais introduire dans toutes les industries du canton. Le mari d’une femme de chambre de madame Gravier, pauvre ouvrier gagnant fort peu d’argent chez un potier où il travaillait, et qui ne pouvait soutenir sa famille, écouta mes avis. Cet homme eut assez de courage pour prendre notre tuilerie à bail sans avoir un denier vaillant. Il vint s’y installer, apprit à sa femme, à la vieille mère de sa femme et à la sienne à façonner des tuiles, il en fit ses ouvriers. Je ne sais pas, foi d’honnête homme ! comment ils s’arrangèrent. Probablement Vigneau emprunta du bois pour chauffer son four, il alla sans doute chercher ses matériaux la nuit par hottées et les manipula pendant le jour ; enfin il déploya secrètement une énergie sans bornes, et les deux vieilles mères en haillons travaillèrent comme des nègres. Vigneau put ainsi cuire quelques fournées, et passa sa première année en mangeant du pain chèrement payé par les sueurs de son ménage ; mais il se soutint. Son courage, sa patience, ses qualités le rendirent intéressant à beaucoup de personnes, et il se fit connaître. Infatigable, il courait le matin à Gre-