Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/408

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La Fosseuse serra la main de Benassis, et lui dit à voix basse : — Oh ! vous êtes bien bon ! Ils la quittèrent ; mais elle les suivit pour les voir monter à cheval. Quand Genestas fut en selle : — Qu’est-ce donc que ce monsieur-là ? souffla-t-elle à l’oreille de Benassis.

— Ha ! Ha ! répondit le médecin en mettant le pied à l’étrier, peut-être un mari pour toi.

Elle resta debout occupée à les voir descendant la rampe, et lorsqu’ils passèrent au bout du jardin, ils l’aperçurent déjà perchée sur un monceau de pierres pour les voir encore et leur faire un dernier signe de tête.

— Monsieur, cette fille a quelque chose d’extraordinaire, dit Genestas au médecin quand ils furent loin de la maison.

— N’est-ce pas ? répondit-il. Je me suis vingt fois dit qu’elle ferait une charmante femme ; mais je ne saurais l’aimer autrement que comme on aime sa sœur ou sa fille, mon cœur est mort.

— A-t-elle des parents ? demanda Genestas. Que faisaient son père et sa mère ?

— Oh ! c’est toute une histoire, reprit Benassis. Elle n’a plus ni père, ni mère, ni parents. Il n’est pas jusqu’à son nom qui ne m’ait intéressé. La Fosseuse est née dans le bourg. Son père, journalier de Saint-Laurent-du-Pont, se nommait le Fosseur, abréviation sans doute de fossoyeur, car depuis un temps immémorial la charge d’enterrer les morts était restée dans sa famille. Il y a dans ce nom toutes les mélancolies du cimetière. En vertu d’une coutume romaine encore en usage ici comme dans quelques autres pays de la France, et qui consiste à donner aux femmes le nom de leurs maris, en y ajoutant une terminaison féminine, cette fille a été appelée la Fosseuse, du nom de son père. Ce journalier avait épousé par amour la femme de chambre de je ne sais quelle comtesse, dont la terre se trouve à quelques lieues du bourg. Ici, comme dans toutes les campagnes, la passion entre pour peu de chose dans les mariages. En général, les paysans veulent une femme pour avoir des enfants, pour avoir une ménagère qui leur fasse de bonne soupe et leur apporte à manger aux champs, qui leur file des chemises et raccommode leurs habits. Depuis longtemps pareille aventure n’était arrivée dans ce pays, où souvent un jeune homme quitte sa promise pour une jeune fille plus riche qu’elle de trois ou quatre arpents de terre. Le sort du Fosseur et de sa femme n’a pas été assez heureux pour déshabituer nos Dauphinois de leurs calculs in-