Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/416

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sistance, une grosseur curieuse. Sa poitrine était large, et sur son front respirait une sauvage intelligence. Il avait l’air intrépide et résolu, mais calme d’un homme habitué à risquer sa vie, et qui a si souvent éprouvé sa puissance corporelle ou intellectuelle en des périls de tout genre, qu’il ne doute plus de lui-même. Vêtu d’une blouse déchirée par les épines, il portait à ses pieds des semelles de cuir attachées par des peaux d’anguilles. Un pantalon de toile bleue rapiécé, déchiqueté laissait apercevoir ses jambes rouges, fines, sèches et nerveuses comme celles d’un cerf.

— Vous voyez l’homme qui m’a tiré jadis un coup de fusil, dit à voix basse Benassis au commandant. Si maintenant je témoignais le désir d’être délivré de quelqu’un, il le tuerait sans hésiter. — Butifer, reprit-il en s’adressant au braconnier, je t’ai cru vraiment homme d’honneur, et j’ai engagé ma parole parce que j’avais la tienne. Ma promesse au procureur du roi de Grenoble était fondée sur ton serment de ne plus chasser, de devenir un homme rangé, soigneux, travailleur. C’est toi qui viens de tirer ce coup de fusil, et tu te trouves sur les terres du comte de Labranchoir. Hein ! si son garde t’avait entendu, malheureux ? Heureusement pour toi, je ne dresserai pas de procès-verbal, tu serais en récidive, et tu n’as pas de port d’armes ! Je t’ai laissé ton fusil par condescendance pour ton attachement à cette arme-là.

— Elle est belle, dit le commandant en reconnaissant une canardière de Saint-Étienne.

Le contrebandier leva la tête vers Genestas comme pour le remercier de cette approbation.

— Butifer, dit en continuant Benassis, ta conscience doit te faire des reproches. Si tu recommences ton ancien métier, tu te trouveras encore une fois dans un parc enclos de murs ; aucune protection ne pourrait alors te sauver des galères ; tu serais marqué, flétri. Tu m’apporteras ce soir même ton fusil, je te le garderai.

Butifer pressa le canon de son arme par un mouvement convulsif.

— Vous avez raison, monsieur le maire, dit-il. J’ai tort, j’ai rompu mon ban, je suis un chien. Mon fusil doit aller chez vous, mais vous aurez mon héritage en me le prenant. Le dernier coup que tirera l’enfant de ma mère atteindra ma cervelle ! Que voulez-vous ! j’ai fait ce que vous avez voulu, je me suis tenu tranquille pendant l’hiver ; mais au printemps, la sève a parti. Je ne sais point