Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/42

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de voir que l’autorité du nouveau chef, si difficile à établir sur ces hordes indisciplinées, allait être compromise. Le jeune homme, auquel ce mouvement n’avait pas échappé, cherchait déjà à sauver l’honneur du commandement, lorsque le trot d’un cheval retentit au milieu du silence. Toutes les têtes se tournèrent dans la direction présumée du personnage qui survenait. C’était une jeune femme assise en travers sur un petit cheval breton, qu’elle mit au galop pour arriver promptement auprès de la troupe des Chouans en y apercevant le jeune homme.

— Qu’avez-vous donc ? demanda-t-elle en regardant tour à tour les Chouans et leur chef.

— Croiriez-vous, madame, qu’ils attendent la correspondance de Mayenne à Fougères, dans l’intention de la piller, quand nous venons d’avoir, pour délivrer nos gars de Fougères, une escarmouche qui nous a coûté beaucoup d’hommes sans que nous ayons pu détruire les Bleus.

— Eh ! bien, où est le mal ? demanda la jeune dame à laquelle un tact naturel aux femmes révéla le secret de la scène. Vous avez perdu des hommes, nous n’en manquerons jamais. Le courrier porte de l’argent, et nous en manquerons toujours ! Nous enterrerons nos hommes qui iront au ciel, et nous prendrons l’argent qui ira dans les poches de tous ces braves gens. Où est la difficulté ?

Ce discours eut la vertu de faire sourire les Chouans.

— N’y a-t-il donc rien là-dedans qui vous fasse rougir ? demanda le jeune homme à voix basse. Êtes-vous donc dans un tel besoin d’argent qu’il vous faille en prendre sur les routes ?

— J’en suis tellement affamée, marquis, que je mettrais, je crois, mon cœur en gage s’il n’était pas pris, dit-elle en lui souriant avec coquetterie. Mais d’où venez-vous donc, pour croire que vous vous servirez des Chouans sans leur laisser piller par-ci par-là quelques Bleus ? Ne savez-vous pas le proverbe : Voleur comme une chouette. Or, qu’est-ce qu’un Chouan ? D’ailleurs, dit-elle en élevant la voix, n’est-ce pas une action juste ? Les Bleus n’ont-ils pas pris tous les biens de l’Église et les nôtres ? et ne nous faut-il pas d’ailleurs des munitions ?

Un autre murmure, bien différent du grognement par lequel les Chouans avaient répondu au marquis, accueillit ces paroles. Le jeune homme, dont le front se rembrunissait, prit alors la jeune