Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/428

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chant bien ce qu’ils voulaient et où ils allaient. Mais le triomphe des idées avec lesquelles le libéralisme moderne fait imprudemment la guerre au gouvernement prospère des Bourbons serait la perte de la France et des Libéraux eux-mêmes. Les chefs du Côté gauche le savent bien. Pour eux, cette lutte est une simple question de pouvoir. Si, à Dieu ne plaise, la bourgeoisie abattait, sous la bannière de l’opposition, les supériorités sociales contre lesquelles sa vanité regimbe, ce triomphe serait immédiatement suivi d’un combat soutenu par la bourgeoisie contre le peuple, qui, plus tard, verrait en elle une sorte de noblesse, mesquine il est vrai, mais dont les fortunes et les priviléges lui seraient d’autant plus odieux qu’il les sentirait de plus près. Dans ce combat, la société, je ne dis pas la nation, périrait de nouveau ; parce que le triomphe toujours momentané de la masse souffrante implique les plus grands désordres. Il suit de là qu’un gouvernement n’est jamais plus fortement organisé, conséquemment plus parfait, que lorsqu’il est établi pour la défense d’un PRIVILÉGE plus restreint. Ce que je nomme en ce moment privilége n’est pas un ces droits abusivement concédés jadis à certaines personnes au détriment de tous ; non, il exprime plus particulièrement le cercle social dans lequel se renferment les évolutions du pouvoir. Le pouvoir est en quelque sorte le cœur d’un état. Or, dans toutes ses créations, la nature a resserré le principe vital, pour lui donner plus de ressort : ainsi du corps politique. Je vais expliquer ma pensée par des exemples. Admettons en France cent pairs, ils ne causeront que cent froissements. Abolissez la pairie, tous les gens riches deviennent des privilégiés ; au lieu de cent, vous en aurez dix mille, et vous aurez élargi la plaie des inégalités sociales. En effet, pour le peuple, le droit de vivre sans travailler constitue seul un privilége. À ses yeux, qui consomme sans produire est un spoliateur. Il veut des travaux visibles et ne tient aucun compte des productions intellectuelles qui l’enrichissent le plus. Ainsi donc, en multipliant les froissements, vous étendez le combat sur tous les points du corps social au lieu de la contenir dans un cercle étroit. Quand l’attaque et la résistance sont générales, la ruine d’un pays est imminente. Il y aura toujours moins de riches que de pauvres ; donc à ceux-ci la victoire aussitôt que la lutte devient matérielle. L’histoire se charge d’appuyer mon principe. La république romaine a dû la conquête du monde à la constitution du privilége