Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/433

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chez une nation, elle devient séditieuse par principe, et le prince se fait tyran par nécessité. Les Chambres qu’on interpose entre les souverains et les sujets ne sont que des palliatifs à ces deux tendances. Les assemblées, selon ce que je viens de dire, deviennent complices ou de l’insurrection ou de la tyrannie. Néanmoins le gouvernement d’un seul, vers lequel je penche, n’est pas bon d’une bonté absolue, car les résultats de la politique dépendront éternellement des mœurs et des croyances. Si une nation est vieillie, si le philosophisme et l’esprit de discussion l’ont corrompue jusqu’à la moelle des os, cette nation marche au despotisme malgré les formes de la liberté ; de même que les peuples sages savent presque toujours trouver la liberté sous les formes du despotisme. De tout ceci résulte la nécessité d’une grande restriction dans les droits électoraux, la nécessité d’un pouvoir fort, la nécessité d’une religion puissante qui rende le riche ami du pauvre, et commande au pauvre une entière résignation. Enfin il existe une véritable urgence de réduire les assemblées à la question de l’impôt et à l’enregistrement des lois, en leur en enlevant la confection directe. Il existe dans plusieurs têtes d’autres idées, je le sais. Aujourd’hui, comme autrefois, il se rencontre des esprits ardents à chercher le mieux, et qui voudraient ordonner les sociétés plus sagement qu’elles ne le sont. Mais les innovations qui tendent à opérer de complets déménagements sociaux ont besoin d’une sanction universelle. Aux novateurs, la patience. Quand je mesure le temps qu’a nécessité l’établissement du christianisme, révolution morale qui devait être purement pacifique, je frémis en songeant aux malheurs d’une révolution dans les intérêts matériels, et je conclus au maintien des institutions existantes. À chacun sa pensée, a dit le christianisme ; à chacun son champ, a dit la loi moderne. La loi moderne s’est mise en harmonie avec le christianisme. À chacun sa pensée, est la consécration des droits de l’intelligence ; à chacun son champ, est la consécration de la propriété due aux efforts du travail. De là notre société. La nature a basé la vie humaine sur le sentiment de la conservation individuelle, la vie sociale s’est fondée sur l’intérêt personnel. Tels sont pour moi les vrais principes politiques. En écrasant ces deux sentiments égoïstes sous la pensée d’une vie future, la religion modifie la dureté des contacts sociaux. Ainsi Dieu tempère les souffrances que produit le frottement des intérêts, par le sentiment religieux qui fait une vertu de l’oubli de lui-même,