Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/438

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fant, la main sur son cœur, et prend une respiration de chérubin. Celui qui avait la lanterne, l’ouvre, boule la lumière dans l’œil de la vieille endormie, et ma femme de ne point sourciller, tant elle avait peur pour son cou. — Tu vois bien qu’elle dort comme un sabot, que dit le grand. — C’est si malin les vieilles, répond le petit. Je vais la tuer, nous serons plus tranquilles. D’ailleurs nous la salerons et la donnerons à manger à nos cochons. En entendant ce propos, ma vieille ne bouge pas. — Oh ! bien, elle dort, dit le petit crâne en voyant que la bossue n’avait pas bougé. Voilà comment la vieille se sauva. Et l’on peut bien dire qu’elle était courageuse. Certes, il y a bien ici des jeunes filles qui n’auraient pas eu la respiration d’un chérubin en entendant parler des cochons. Les deux brigands se mettent à enlever l’homme mort, le roulent dans ses draps et le jettent dans la petite cour, où la vieille entend les cochons accourir en grognant : hon, hon ! pour le manger. Pour lors, le lendemain, reprit le narrateur après avoir fait une pause, la femme s’en va, donnant deux sous pour son coucher. Elle prend son bissac, fait comme si de rien n’était, demande les nouvelles du pays, sort en paix et veut courir. Point ! La peur lui coupe les jambes, bien à son heur. Voici pourquoi. Elle avait à peine fait un demi-quart de lieue, qu’elle voit venir un des brigands qui la suivait par finesse pour s’assurer qu’elle n’eût rien vu. Elle te devine ça et s’assied sur une pierre. — Qu’avez-vous, ma bonne femme ? lui dit le petit, car c’était le petit, le plus malicieux des deux, qui la guettait. — Ah ! mon bon homme, qu’elle répond, mon bissac est si lourd, et je suis si fatiguée, que j’aurais bien besoin du bras d’un honnête homme (voyez-vous c’te finaude !) pour gagner mon pauvre logis. Pour lors le brigand lui offre de l’accompagner. Elle accepte. L’homme lui prend le bras pour savoir si elle a peur. Ha ! ben, c’te femme ne tremble point et marche tranquillement. Et donc les voilà tous deux causant agriculture et de la manière de faire venir le chanvre, tout bellement jusqu’au faubourg de la ville où demeurait la bossue et où le brigand la quitta, de peur de rencontrer quelqu’un de la justice. La femme arriva chez elle à l’heure de midi et attendit son homme en réfléchissant aux événements de son voyage et de la nuit. Le chanverrier rentra vers le soir. Il avait faim, faut lui faire à manger. Donc, tout en graissant sa poêle pour lui faire frire quelque chose, elle lui raconte comment elle a vendu son chanvre, en bavardant à la manière des