Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/439

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femmes, mais elle ne dit rien des cochons, ni du monsieur tué, mangé, volé. Elle fait donc flamber sa poêle pour la nettoyer. Elle la retire, veut l’essuyer, la trouve pleine de sang. — Qu’est-ce que tu as mis là-dedans ? dit-elle à son homme. — Rien, qu’il répond. Elle croit avoir une lubie de femme et remet sa poêle au feu. Pouf ! une tête tombe par la cheminée. — Vois-tu ? C’est précisément la tête du mort, dit la vieille. Comme il me regarde ! Que me veut-il donc ? — Que tu le venges ! lui dit une voix. — Que tu es bête, dit le chanverrier ; te voilà bien avec tes berlues qui n’ont pas le sens commun. Il prend la tête, qui lui mord le doigt, et la jette dans sa cour. — Fais mon omelette, qui dit, et ne t’inquiète pas de ça. C’est un chat. — Un chat ! qu’elle dit, il était rond comme une boule. Elle remet sa poêle au feu. Pouf ! tombe une jambe. Même histoire. L’homme, pas plus étonné de voir le pied que d’avoir vu la tête, empoigne la jambe et la jette à sa porte. Finalement, l’autre jambe, les deux bras, le corps, tout le voyageur assassiné tombe un à un. Point d’omelette. Le vieux marchand de chanvre avait bien faim. — Par mon salut éternel, dit-il, si mon omelette se fait, nous verrons à satisfaire cet homme-là. — Tu conviens donc maintenant que c’est un homme ? dit la bossue. Pourquoi m’as-tu dit tout à l’heure que c’était pas une tête, grand asticoteur ? La femme casse les œufs, fricasse l’omelette et la sert sans plus grogner, parce qu’en voyant ce grabuge elle commençait à être inquiète. Son homme s’assied et se met à manger. La bossue, qui avait peur, dit qu’elle n’a pas faim. — Toc, toc ! fait un étranger en frappant à la porte. — Qui est là ? — L’homme mort d’hier. — Entrez, répond le chanverrier. Donc, le voyageur entre, se met sur l’escabelle et dit : — Souvenez-vous de Dieu, qui donne la paix pour l’éternité aux personnes qui confessent son nom ! Femme, tu m’as vu faire mourir, et tu gardes le silence. J’ai été mangé par les cochons ! Les cochons n’entrent pas dans le paradis. Donc moi, qui suis chrétien, j’irai dans l’enfer faute par une femme de parler. Ça ne s’est jamais vu. Faut me délivrer ! et autres propos. La femme, qu’avait toujours de plus en plus peur, nettoie sa poêle, met ses habits du dimanche, va dire à la justice le crime qui fut découvert, et les voleurs joliment roués sur la place du marché. Cette bonne œuvre faite, la femme et son homme ont toujours eu le plus beau chanvre que vous ayez jamais vu. Puis, ce qui leur fut plus agréable, ils eurent ce qu’ils désiraient depuis longtemps, à