Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/440

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savoir un enfant mâle qui devint, par suite des temps, baron du roi. Voilà l’histoire véritable de la Bossue courageuse.

— Je n’aime point ces histoires-là, elles me font rêver, dit la Fosseuse. J’aime mieux les aventures de Napoléon.

— C’est vrai, dit le garde-champêtre. Voyons, monsieur Goguelat, racontez-nous l’Empereur.

— La veillée est trop avancée, dit le piéton, et je n’aime point à raccourcir les victoires.

— C’est égal, dites tout de même ! Nous les connaissons pour vous les avoir vu dire bien des fois ; mais ça fait toujours plaisir à entendre.

— Racontez-nous l’Empereur ! crièrent plusieurs personnes ensemble.

— Vous le voulez, répondit Goguelat. Eh ! bien, vous verrez que ça ne signifie rien quand c’est dit au pas de charge. J’aime mieux vous raconter toute une bataille. Voulez-vous Champ-Aubert, où il n’y avait plus de cartouches, et où l’on s’est astiqué tout de même à la baïonnette ?

— Non ! l’Empereur ! l’Empereur !

Le fantassin se leva de dessus sa botte de foin, promena sur l’assemblée ce regard noir, tout chargé de misère, d’événements et de souffrances qui distingue les vieux soldats. Il prit sa veste par les deux basques de devant, les releva comme s’il s’agissait de recharger le sac où jadis étaient ses hardes, ses souliers, toute sa fortune ; puis il s’appuya le corps sur la jambe gauche, avança la droite et céda de bonne grâce aux vœux de l’assemblée. Après avoir repoussé ses cheveux gris d’un seul côté de son front pour le découvrir, il porta la tête vers le ciel afin de se mettre à la hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire.

— Voyez-vous, mes amis, Napoléon est né en Corse, qu’est une île française, chauffée par le soleil d’Italie, où tout bout comme dans une fournaise, et où l’on se tue les uns les autres, de père en fils, à propos de rien : une idée qu’ils ont. Pour vous commencer l’extraordinaire de la chose, sa mère, qui était la plus belle femme de son temps et une finaude, eut la réflexion de le vouer à Dieu, pour le faire échapper à tous les dangers de son enfance et de sa vie, parce qu’elle avait rêvé que le monde était en feu le jour de son accouchement. C’était une prophétie ! Donc elle demande que Dieu le protége, à condition que Napoléon rétablira sa sainte reli-