Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/450

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envoyé par Dieu même pour faire triompher la France. Mais voilà l’empereur de Russie, qu’était son ami, qui se fâche de ce qu’il n’a pas épousé une Russe et qui soutient les Anglais, nos ennemis, auxquels on avait toujours empêché Napoléon d’aller dire deux mots dans leur boutique. Fallait donc en finir avec ces canards-là. Napoléon se fâche et nous dit : — « Soldats ! vous avez été maîtres dans toutes les capitales de l’Europe ; reste Moscou, qui s’est allié à l’Angleterre. Or, pour pouvoir conquérir Londres et les Indes qu’est à eux, je trouve définitif d’aller à Moscou. » Pour lors, assemble la plus grande des armées qui jamais ait traîné ses guêtres sur le globe, et si curieusement bien alignée, qu’en un jour il a passé en revue un million d’hommes. — Hourra ! disent les Russes. Et voilà la Russie tout entière, des animaux de cosaques qui s’envolent. C’était pays contre pays, un boulevari général, dont il fallait se garer. Et comme avait dit l’Homme Rouge à Napoléon : C’est l’Asie contre l’Europe ! — Suffit, qu’il dit, je vais me précautionner. Et voilà, fectivement tous les rois qui viennent lécher la main de Napoléon ! L’Autriche, la Prusse, la Bavière, la Saxe, la Pologne, l’Italie, tout est avec nous, nous flatte, et c’était beau ! Les aigles n’ont jamais tant roucoulé qu’à ces parades-là, qu’elles étaient au-dessus de tous les drapeaux de l’Europe. Les Polonais ne se tenaient pas de joie, parce que l’empereur avait idée de les relever ; de là, que la Pologne et la France ont toujours été frères. Enfin « À nous la Russie ! » crie l’armée. Nous entrons bien fournis ; nous marchons, marchons : point de Russes. Enfin nous trouvons nos mâtins campés à la Moskowa. C’est là que j’ai eu la croix, et j’ai congé de dire que ce fut une sacrée bataille ! L’empereur était inquiet, il avait vu l’Homme Rouge, qui lui dit : Mon enfant, tu vas plus vite que le pas, les hommes te manqueront, les amis te trahiront. Pour lors, proposa la paix. Mais avant de la signer : « Frottons les Russes ? » qui nous dit. « Tope ! » s’écria l’armée. « En avant ! » disent les sergents. Mes souliers étaient usés, mes habits décousus, à force d’avoir trimé dans ces chemins là qui ne sont pas commodes du tout ! Mais c’est égal ! « Puisque c’est la fin du tremblement, que je me dis, je veux m’en donner tout mon soûl ! » Nous étions devant le grand ravin ; c’était les premières places ! Le signal se donne, sept cents pièces d’artillerie commencent une conversation à vous faire sortir le sang par les oreilles. Là, faut rendre justice à ses ennemis, mes Russes se fai-