Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/466

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par une voix amie au moment où, mélancolique et pensif, je m’absorbais dans les voluptés d’une opulence imaginaire. Je faisais sans doute gémir alors la douce créature qui s’était vouée à mon bonheur. Pour elle, le plus violent des chagrins était de me voir désirer quelque chose qu’elle ne pouvait me donner à l’instant. Oh ! monsieur, les dévouements de la femme sont sublimes !

Cette exclamation du médecin exprimait une secrète amertume, car il tomba dans une rêverie passagère que respecta Genestas.

— Eh ! bien, monsieur, reprit Benassis, un événement qui aurait dû consolider ce mariage commencé le détruisit, et fut la cause première de mes malheurs. Mon père mourut en laissant une fortune considérable ; les affaires de sa succession m’appelèrent pendant quelques mois en Languedoc, et j’y allai seul. Je retrouvai donc ma liberté. Toute obligation, même la plus douce, pèse au jeune âge : il faut avoir expérimenté la vie pour reconnaître la nécessité d’un joug et celle du travail. Je sentis, avec la vivacité d’un Languedocien, le plaisir d’aller et de venir sans avoir à rendre compte de mes actions à personne, même volontairement. Si je n’oubliai pas complétement les liens que j’avais contractés, j’étais occupé d’intérêts qui m’en divertissaient, et insensiblement le souvenir s’en abolit. Je ne songeai pas sans un sentiment pénible à les reprendre à mon retour ; puis je me demandai pourquoi les reprendre. Cependant je recevais des lettres empreintes d’une tendresse vraie ; mais à vingt-deux ans, un jeune homme imagine les femmes toutes également tendres ; il ne sait pas encore distinguer entre le cœur et la passion ; il confond tout dans les sensations du plaisir qui semblent d’abord tout comprendre ; plus tard seulement, en connaissant mieux les hommes et les faits, je sus apprécier ce qu’il y avait de véritable noblesse dans ces lettres où jamais rien de personnel ne se mêlait à l’expression des sentiments, où l’on se réjouissait pour moi de ma fortune, où l’on s’en plaignait pour soi, où l’on ne supposait pas que je pusse changer, parce qu’on se sentait incapable de changement. Mais déjà je me livrais à d’ambitieux calculs, et pensais à me plonger dans les joies du riche, à devenir un personnage, à faire une belle alliance. Je me contentais de dire : Elle m’aime bien ! avec la froideur d’un fat. Déjà j’étais embarrassé de savoir comment je me dégagerais de cette liaison. Cet embarras, cette honte, mènent à la cruauté ; pour ne point rougir devant sa victime, l’homme qui a commencé par la