Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/47

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sociables qui sont dans une voiture comme un veau résigné que l’on mène, les pattes liées, au marché voisin. Ils commencent par s’emparer de toute leur place légale, et finissent par dormir sans aucun respect humain sur les épaules de leurs voisins. Le patriote, Gudin et le conducteur l’avaient donc laissé à lui-même sur la foi de son sommeil, après s’être aperçus qu’il était inutile de parler à un homme dont la figure pétrifiée annonçait une vie passée à mesurer des aunes de toiles et une intelligence occupée à les vendre tout bonnement plus cher qu’elles ne coûtaient. Ce gros petit homme, pelotonné dans son coin, ouvrait de temps en temps ses petits yeux d’un bleu-faïence, et les avait successivement portés sur chaque interlocuteur avec des expressions d’effroi, de doute et de défiance pendant cette discussion. Mais il paraissait ne craindre que ses compagnons de voyage et se soucier fort peu des Chouans. Quand il regardait le conducteur, on eût dit de deux francs-maçons. En ce moment la fusillade de La Pèlerine commença. Coupiau, déconcerté, arrêta sa voiture.

— Oh ! oh ! dit l’ecclésiastique qui paraissait s’y connaître, c’est un engagement sérieux, il y a beaucoup de monde.

— L’embarrassant, monsieur Gudin, est de savoir qui l’emportera ? s’écria Coupiau.

Cette fois les figures furent unanimes dans leur anxiété.

— Entrons la voiture, dit le patriote, dans cette auberge là-bas, et nous l’y cacherons en attendant le résultat de la bataille.

Cet avis parut si sage que Coupiau s’y rendit. Le patriote aida le conducteur à cacher la voiture à tous les regards, derrière un tas de fagots. Le prétendu recteur saisit une occasion de dire tout bas à Coupiau : — Est-ce qu’il aurait réellement de l’argent ?

— Hé ! monsieur Gudin, si ce qu’il en a entrait dans les poches de Votre Révérence, elles ne seraient pas lourdes.

Les Républicains, pressés de gagner Ernée, passèrent devant l’auberge sans y entrer. Au bruit de leur marche précipitée, Gudin et l’aubergiste stimulés par la curiosité avancèrent sur la porte de la cour pour les voir. Tout à coup le gros ecclésiastique courut à un soldat qui restait en arrière.

— Eh ! bien, Gudin ! s’écria-t-il, entêté, tu vas donc avec les Bleus. Mon enfant, y penses-tu ?

— Oui, mon oncle, répondit le caporal. J’ai juré de défendre la France.