Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/480

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chaque couple d’amants n’a pas son semblable dans la succession des temps, il obéit néanmoins au même mode dans ses expansions. Ainsi les jeunes filles, même la plus religieuse, la plus chaste de toutes, emploient le même langage, et ne diffèrent que par la grâce des idées. Seulement, là où, pour une autre, l’innocente confidence de ses émotions eût été naturelle, Évelina y voyait une concession faite à des sentiments tumultueux qui l’emportaient sur le calme habituel de sa religieuse jeunesse, le plus furtif regard semblait lui être violemment arraché par l’amour. Cette lutte constante entre son cœur et ses principes donnait au moindre événement de sa vie, si tranquille à la surface et si profondément agitée, un caractère de force bien supérieur aux exagérations des jeunes filles de qui les manières sont promptement faussées par les mœurs mondaines. Pendant le voyage, Évelina trouvait à la nature des beautés dont elle parlait avec admiration. Lorsque nous ne croyons pas avoir le droit d’exprimer le bonheur causé par la présence de l’être aimé, nous déversons les sensations dont surabonde notre cœur dans les objets extérieurs que nos sentiments cachés embellissent. La poésie des sites qui passaient sous nos yeux était alors pour nous deux un truchement bien compris, et les éloges que nous leur donnions contenaient pour nos âmes les secrets de notre amour. À plusieurs reprises, la mère d’Évelina se plut à embarrasser sa fille par quelques malices de femme : — « Vous avez passé vingt fois dans cette vallée, ma chère enfant, sans paraître l’admirer, lui dit-elle après une phrase un peu trop chaleureuse d’Évelina. — Ma mère, je n’étais sans doute pas arrivée à l’âge où l’on sait apprécier ces sortes de beautés. » Pardonnez-moi ce détail sans charme pour vous, capitaine ; mais cette réponse si simple me causa des joies inexprimables, toutes puisées dans le regard qui me fut adressé. Ainsi, tel village éclairé par le soleil levant, telle ruine couverte de lierre que nous avons contemplée ensemble, servirent à empreindre plus fortement dans nos âmes par la souvenance d’une chose matérielle de douces émotions où pour nous il allait de tout notre avenir. Nous arrivâmes au château patrimonial, où je restai pendant quarante jours environ. Ce temps, monsieur, est la seule part de bonheur complet que le ciel m’ait accordée. Je savourai des plaisirs inconnus aux habitants des villes. Ce fut tout le bonheur qu’ont deux amants à vivre sous le même toit, à s’épouser par avance, à marcher de compa-