Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/488

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voirs, libres de vos semblables en leur montrant le fer ou le poison qui vous met hors de leurs atteintes, libres de la destinée en fixant le point au delà duquel vous ne lui laissez aucune prise sur vous, libres des préjugés en ne les confondant pas avec les devoirs, libres de toutes les appréhensions animales en sachant surmonter l’instinct grossier qui enchaîne à la vie tant de malheureux. » Après avoir dégagé cette argumentation dans le fatras philosophique des Anciens, je crus y imprimer une forme chrétienne en la corroborant par les lois du libre arbitre que Dieu nous a données afin de pouvoir nous juger un jour à son tribunal, et je me disais ; « J’y plaiderai ! » Mais, monsieur, ces raisonnements me forcèrent de penser au lendemain de la mort, et je me trouvai aux prises avec mes anciennes croyances ébranlées. Tout alors devient grave dans la vie humaine quand l’éternité pèse sur la plus légère de nos déterminations. Lorsque cette idée agit de toute sa puissance sur l’âme d’un homme, et lui fait sentir en lui je ne sais quoi d’immense qui le met en contact avec l’infini, les choses changent étrangement. De ce point de vue, la vie est bien grande et bien petite. Le sentiment de mes fautes ne me fit point songer au ciel tant que j’eus des espérances sur la terre, tant que je trouvai des soulagements à mes maux dans quelques occupations sociales. Aimer, se vouer au bonheur d’une femme, être chef d’une famille, n’était-ce pas donner de nobles aliments à ce besoin d’expier mes fautes qui me poignait ? Cette tentative ayant échoué, n’était-ce pas encore une expiation que de se consacrer à un enfant ? Mais quand, après ces deux efforts de mon âme, le dédain et la mort y eurent mis un deuil éternel, quand tous mes sentiments furent blessés à la fois, et que je n’aperçus plus rien ici-bas, je levai les yeux vers le ciel et j’y rencontrai Dieu. Cependant j’essayai de rendre la religion complice de ma mort. Je relus les Évangiles, et ne vis aucun texte où le suicide fût interdit ; mais cette lecture me pénétra de la divine pensée du Sauveur des hommes. Certes, il n’y dit rien de l’immortalité de l’âme, mais il nous parle du beau royaume de son père ; il ne nous défend aussi nulle part le parricide, mais il condamne tout ce qui est mal. La gloire de ses évangélistes et la preuve de leur mission est moins d’avoir fait des lois que d’avoir répandu sur la terre l’esprit nouveau des lois nouvelles. Le courage qu’un homme déploie en se tuant me parut alors être sa propre condamnation : quand il se sent la force de mourir, il doit avoir celle de lutter ; se refuser