Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/532

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idée mauvaise ; chez l’angélique élève de la sœur Marthe et du bon vicaire de Saint-Etienne, la révélation de l’amour, qui est la vie de la femme, lui fut faite par un livre suave, par la main du Génie. Pour toute autre, cette lecture eût été sans danger ; pour elle, ce livre fut pire qu’un livre obscène. La corruption est relative. Il est des natures vierges et sublimes qu’une seule pensée corrompt, elle y fait d’autant plus de dégâts que la nécessité d’une résistance n’a pas été prévue.

Le lendemain, Véronique montra le livre au bon prêtre qui en approuva l’acquisition, tant la renommée de Paul et Virginie est enfantine, innocente et pure. Mais la chaleur des tropiques et la beauté des paysages ; mais la candeur presque puérile d’un amour presque saint avaient agi sur Véronique. Elle fut amenée par la douce et noble figure de l’auteur vers le culte de l’Idéal, cette fatale religion humaine ! Elle rêva d’avoir pour amant un jeune homme semblable à Paul. Sa pensée caressa de voluptueux tableaux dans une île embaumée. Elle nomma par enfantillage, une île de la Vienne, sise au-dessous de Limoges, presque en face le faubourg Saint-Martial, l’Ile-de-France. Sa pensée y habita le monde fantastique que se construisent toutes les jeunes filles, et qu’elles enrichissent de leurs propres perfections. Elle passa de plus longues heures à sa croisée, en regardant passer les artisans, les seuls hommes auxquels, d’après la modeste condition de ses parents, il lui était permis de songer. Habituée sans doute à l’idée d’épouser un homme du peuple, elle trouvait en elle-même des instincts qui repoussaient toute grossièreté. Dans cette situation, elle dut se plaire à composer quelques-uns de ces romans que toutes les jeunes filles se font pour elles seules. Elle embrassa peut-être avec l’ardeur naturelle à une imagination élégante et vierge, la belle idée d’ennoblir un de ces hommes, de l’élever à la hauteur où la mettaient ses rêves, elle fit peut-être un Paul de quelque jeune homme choisi par ses regards, seulement pour attacher ses folles idées sur un être, comme les vapeurs de l’atmosphère humide, saisies par la gelée, se cristallisent à une branche d’arbre, au bord du chemin. Elle dut se lancer dans un abîme profond, car si elle eut souvent l’air de revenir de bien haut en montrant sur son front comme un reflet lumineux ; plus souvent encore, elle semblait tenir à la main des fleurs cueillies au bord de quelque torrent suivi jusqu’au fond d’un précipice. Elle demanda par les soirées